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Tribune

Are you fuzzies or techies ?

Bien qu’il s’agisse de deux univers différents dans le domaine de la formation, les fuzzies et les techies restent deux courants complémentaires dans le domaine de l’innovation technologique.

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Dans les années 70, cette question était courante dans le campus de l’université américaine Stanford. Les techies renvoient aux individus ayant entrepris des études en sciences dures tandis que les fuzzies sont les personnes issues des études en sciences sociales.

Cette vision binaire de la formation était entretenue par l’essor exponentiel de l’informatique, du big data et de l’intelligence artificielle. Les médias faisaient l’écho de ce que disaient certains dirigeants. Sans un diplôme en STEM (Science, Technology, Engineering, Mathematics), «vous n’avez aucune chance de décrocher un poste à la Silicon. Donc, aucun avenir».

Jeff Bush, gouverneur de Floride, prévenait les littéraires qu’ils vont finir serveurs dans un fast-food. Marc Rubio, sénateur du même État, disait que les soudeurs gagneraient, bientôt, plus d’argent que les philosophes. Marc Andreessen, fondateur de Netscape, disait, avec ironie, que les lauréats des sciences sociales seraient vendeurs dans des boutiques de chaussures.

Cette vision binaire a également aliéné les parents qui poussent, encore, leurs chérubins à s’orienter vers les STEM à coup de dopage par les heures sup.

 

Renverser la vapeur

En 2017, dans son ouvrage «Les fuzzies et les techies : Comment les arts libéraux vont dominer le monde digital», l’investisseur en capital-risque et chercheur à l’université Harvard, Scott Harley, jette un pavé dans la mare.

Il est parti de sa propre expérience. Diplômé de sciences sociales, on lui a toujours demandé ce que fait un «social» chez Google ? Et de son constat, de nombreuses entreprises technologiques brillantes ont été fondées ou sont dirigées par des «fuzzies».

Dans son ouvrage, il ne cherche pas à opposer les deux univers. Mais plutôt à montrer leur complémentarité, leur «entrelacement», selon lui. Il propose que les curricula de formations dures s’ouvrent aux arts, à la philosophie ou au design thinking. Et que ceux des formations sociales s’ouvrent à la mécanique et à l’informatique.

Quand en 2008 Steve Jobs crée l’Apple University, ses curricula respectaient cet entrelacement. Pour l’auteur, «c’est ce mix qui est à la base de la créativité et des innovations de Google».

 

Le social non délocalisable

Pendant longtemps, on a pensé que les algorithmes, le big data et l’IA vont régler tous les problèmes.

Dans leur quête d’optimisation, les multinationales délocalisent les tâches «dures» dans des pays à bas coûts, car plus facilement modélisables. Par contre, la curiosité intellectuelle, la créativité ou la connaissance des cultures et des langues ne sont pas délocalisables.

En 2016, Wall Street Journal tirait la sonnette d’alarme sur les difficultés des entreprises américaines à recruter des candidats dont les compétences dépassent le seul savoir technique. Les hard skills.

Les grands barons de la high tech de la Silicon Valley envoient leurs enfants dans les écoles classiques. Sic.

 

Des cas réels

Dans son ouvrage, l’auteur énumère les entreprises de la high tech de la Silicon Valley qui ont été créées et/ou dirigées par des «fuzzies». J’en cite Pinterest, Airbnb, Slack, Kaggle, Palantir, Stitch Fix, LinkedIn ou YouTube.

Donc, le challenge est de réussir un savant mélange entre social et technique, entre l’humain et la machine.

En 2020, le Forum Économique mondial a publié une étude intitulée “The future of jobs“. Cette enquête, menée auprès de 350 dirigeants, a abordé leur stratégie de recrutement. Pour les répondants, la nouvelle économie exige, aussi, des compétences en résolution de conflits, en esprit critique, en créativité, en management, en intelligence émotionnelle, en flexibilité cognitive et en prise de décisions. Ils ont souligné que les profils techniques ont des lacunes en communication, n’aiment pas travailler en équipe et sont réticents à intégrer une dimension sociale dans leur ingénierie.

UX designer est un nouveau métier qui sera de plus en plus plébiscité. C’est lui qui est en charge de bâtir, pour une marque, la meilleure expérience utilisateur autour de son produit/service. Ce nouveau métier exige des qualités humaines et des connaissances sociales.

C’est lui qui fournira, à l’ingénieur, les habitudes et attentes des consommateurs pour l’aider à concevoir une plateforme ergonomique pour le grand bonheur des clients.

 

Par Nezha Hami Eddine, présidente d’ICF Maroc