Société
Abdelwahab Rafiki : «Il faut trancher sur les questions du testament et du Taassib…»
Abdelawahab Rafiki, au nom d’un islam éclairé, livre les pistes prioritaires de la réforme du Code de la famille. Pour une égalité entre les deux sexes, il faut amender les dispositions relatives à l’héritage en priorité.
Abdelwahab Rafiki, auparavant idéologue de la pensée salafiste, prône aujourd’hui un islam éclairé et libéral. Son parcours l’a mené au ministère de la Justice où il occupe le poste de conseiller de Abdellatif Ouahbi. Ironie du sort, son bureau jouxte celui du juge d’instruction qui, il y a plusieurs années, avait instruit son dossier. Sa mission : mettre à profit son savoir religieux et participer à la réforme de la Moudawana et du Code pénal. Selon lui, une relecture éclairée du Coran s’impose pour se détacher du fiqh traditionnel.
Cela fait une année que le Roi a annoncé la nécessité de revoir le Code de la famille. Depuis, il n’y a eu encore rien de concret…
On ne peut pas dire que rien n a encore été fait, car il y a quand même un débat qui a été lancé sur cette question, notamment au niveau de la société civile et des associations féminines. Celles-ci ont élaboré des propositions de réforme et d’amendement de la Moudawana. Maintenant, il faut reconnaître qu’il s’agit d’un chantier important qui nécessite un débat national élargi et il faut prendre le temps afin de bien mener cette réforme.
Justement, à propos de débat, on constate que l’on n’arrive pas à se défaire de l’héritage de la jurisprudence traditionnelle qui bloque toute tentative de renouveau même si ce renouveau penche, comme le veut la religion, vers l’intérêt général ?
Le Maroc a, après les attentats de 2003, changé sa politique en matière de religion. Toutefois, il y a encore des blocages au niveau des mentalités. Le pays avait importé l’idéologie salafiste qui s’est bien implantée au sein de la société et c’est de là que proviennent les résistances à une relecture du Coran et aux changements en ce qui concerne la question de la femme et des libertés individuelles. Le fiqh traditionnel demeure lourd de portée et c’est ce qui explique les résistances aux réformes qui s’imposent aujourd’hui. Et qui nécessitent une relecture du Coran adaptée au contexte et à la réalité actuels.
Comment peut-on dépasser ces résistances ?
Il faut tout d’abord un changement de mentalités pour permettre l’adoption et l’application d’une législation adaptée qui réponde aux mutations que connaît la société marocaine. Il faut, en second lieu, une forte volonté politique qui, je pense, existe déjà si l’on considère certains indicateurs, à savoir le changement des programmes scolaires, l’ouverture de certaines professions aux femmes, notamment les adouls, ou encore l’égalité de la femme et de l’homme en matière de témoignage dans le cadre du fameux «lafif».
Les programmes d’enseignement de l’éducation civique contribuent également à l’ouverture des mentalités. L’implication de la société civile et des médias est aussi nécessaire. Il faut dire que des changements ont eu lieu et il faut les poursuivre et les soutenir. Par ailleurs, en ce qui concerne la réforme de la Moudawana, il faut un débat national qui permette, loin des discours de violence et des accusations des uns et des autres, de dégager des avis contradictoires mais constructifs. Il n’y a pas de recette toute prête pour mener la réforme mais il faut débattre et étudier tous les tenants et aboutissants afin de préserver notre identité et s’ouvrir à la modernité.
Les féministes appellent à la révision urgente des articles de la Moudawana relatifs à l’héritage, l’égalité, la tutelle, etc. Comment trancher selon vous ces questions sensibles ?
Le Code de la famille de 2004 a apporté des changements intéressants par rapport à l’ancien code du statut personnel. Mais, en raison de l’attachement au fiqh traditionnel, le législateur est resté prudent sur ces points, notamment la tutelle et l’héritage qui garantissent pourtant l’égalité des droits entre les deux sexes. Pour dépasser cette situation, il est nécessaire, à mon avis, d’agir rapidement et en priorité sur le testament et le Taassib. Le Coran retient le testament en matière d’héritage, mais la jurisprudence dispose qu’il n’y a pas de testament possible pour les héritiers. Pourtant, le testament permettrait un partage équitable entre frères et sœurs. Par ailleurs, le Taassib aujourd’hui est dépassé et n’a plus raison d’être si l’on considère le rôle actuel de la femme dans la société: elle est active dans les domaines économique et politique. Et il faut également retenir que, selon le Haut-Commissariat au Plan, 20% des ménages au Maroc sont dirigés par des femmes.
Pour cela, il faut oser une relecture du Coran pour mener ces changements et avoir une vision moderne adaptée à la réalité sociale. Pensez-vous que cela est possible ?
Oui, il faut relire le texte sacré pour l’adapter aux réalités sociales actuelles. La relecture du Coran est nécessaire pour mener la réforme de la Moudawana et cela ne touche en rien la Foi et n’empêchera pas d’être bon musulman…
Dans ce même ordre d’idées, il faut procéder à la révision du Code pénal pour autoriser l’avortement et dépénaliser les relations extraconjugales…
Tout à fait. Une fois que l’on peut se détacher du fiqh traditionnel, techniquement, la réforme peut se faire rapidement car il s’agit de deux ou trois articles, d’une part, et, d’autre part, cela relève d’une seule instance, à savoir le ministère de la Justice.
Pour le Code de la famille, cela semble moins facile. A-t-on une visibilité sur le calendrier de la réforme ?
Pour l’instant, on ne sait pas encore comment ni par qui la réforme du Code de la famille sera menée. Plusieurs organes sont impliqués, notamment les ministères de la Justice, des Habous, de la Famille et de la Solidarité, le Conseil supérieur des Oulémas, etc. Il faudra peut-être créer une commission pour permettre un travail collégial…
Mais il faut rester optimiste, car le débat est enclenché suite au discours royal de juillet 2022 et, donc il, existe une volonté politique. A mon avis, en 2024 sera finalisé un projet de réforme du Code de la famille…