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Diplomatie

Géopolitique : Le Maroc élargit son horizon d’action

Le Royaume veut donner un élan à l’Initiative africaine pour en faire une véritable fenêtre du Maroc et de l’Afrique sur le continent américain. Un nouvel espace géopolitique est en train de se former.

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Les éléments du puzzle commencent à se mettre en place progressivement. Le discours du 6 novembre est, en effet, le couronnement d’un long processus. L’annonce solennelle du nouveau cap que le Maroc a pris il y a des années. Mais aujourd’hui, c’est un nouveau gap qui vient d’être franchi. Le Royaume a compris depuis début 2000 que le projet de l’Union du Maghreb, lancé une décennie plus tôt, était mort-né. L’accord d’association avec l’Union européenne avançait certes, mais, on le verra plus tard, aussi bien l’accord de pêche que celui agricole ont fini par être empêtrés dans des considérations politico-judiciaires. Le Royaume était conscient que pour atteindre le niveau de développement qu’il souhaitait, il fallait s’intéresser aussi, et surtout, à son flanc atlantique. En 2007, il ratifie donc la convention internationale sur les droits de la mer de 1982 et, la même année, présente sa proposition d’autonomie au Sahara. En 2009, le processus des États africains atlantique est lancé depuis le Maroc. Le lien n’était pas évident au début. En 2015, le Souverain donne le coup d’envoi, depuis la ville de Laâyoune, du nouveau projet de développement économique et social des provinces du Sud, avec comme projets phares le nouveau port Dakhla Atlantique et les zones logistiques attenantes, ainsi que la voie express Tiznit-Dakhla. Deux ans plus tard, le gouvernement adopte un projet de loi portant nouvelle délimitation des frontières maritimes du Royaume. Le Maroc ne perd pas le cap qu’il s’était fixé à travers cette vision à long terme. Il entreprend de moderniser l’armement de sa marine, entre autres corps de défense, en même temps qu’un programme de développement de la recherche océanographique. Entre-temps, il y a eu la découverte du Mont Tropic, au large des côtes sahariennes, et l’octroi de permis de prospection des hydrocarbures dans cette même zone. En novembre 2000, la route commerciale entre le Maroc et la Mauritanie est entièrement sécurisée et assainie. Sur le plan diplomatique, l’Initiative Afrique Atlantique, regroupant 23 pays, est relancée. Les pièces du puzzle sont ainsi réunies. Il est temps de tout rassembler dans un nouveau deal, un nouvel horizon. Dans ce discours du 6 novembre, le Roi a évoqué les infrastructures, les connexions, la marine marchande, l’économie bleue, la prospection offshore, la pêche, le dessalement, le tourisme…. tout en insistant sur l’urgence d’une mise à niveau nationale du littoral, incluant la façade atlantique du Sahara marocain et plus particulièrement la construction d’une flotte de la marine marchande.

Rayonnement continental
Partant de là, cet espace géopolitique qu’est la façade atlantique fera l’objet d’une structuration de portée africaine. De ce fait, la vision du Maroc en tant que pays atlantique, non seulement ancré en Europe, via sa façade méditerranéenne, mais également ouvert sur l’Afrique et l’Amérique, est présentée comme une opportunité de développement et d’intégration régionale. Une opportunité qu’il s’est ingénié à créer lui-même. On peut même avancer le raisonnement un peu plus loin. Le Royaume étant déjà une puissance halieutique mondialement reconnue, avec le renouvellement de son armement, sa logistique portuaire est en passe d’être renforcée, l’actualisation de l’environnement juridique… il est en passe de développer son littoral et reconstituer sa flotte de marine marchande. On reconnaît là les principaux attributs d’une puissance maritime, qu’il est en passe de devenir.
Bref, comme il est précisé dans ce discours, la façade atlantique deviendra «un haut lieu de communion humaine, un pôle d’intégration économique, un foyer de rayonnement continental et international». Plus encore, pour favoriser l’accès des États du Sahel à l’océan Atlantique, «nous proposons le lancement d’une initiative à l’échelle internationale», annonce le Souverain. Ironie de l’histoire, il y a quelques années, au lendemain de sa réintégration de l’UA, le Maroc avait exprimé sa volonté de rejoindre la CEDEAO. On connaît toute l’histoire. Sa demande n’a pas été refusée, mais n’a pas été franchement acceptée non plus. Au-jourd’hui, ce sont les pays de la CEDEAO qui viennent vers lui, mais dans le cadre d’un projet plus vaste. Les quinze pays de cette région économique de l’UA voient désormais leur sort arrimé à celui du Maroc. Et ce, via le processus d’intégration régionale initié en 2016, avec le lancement depuis Abuja du projet du gazoduc Maroc-Nigéria et aujourd’hui avec cette initiative royale de faire du Maroc une voie d’accès des pays du Sahel pour l’Atlantique.

Un scénario El Guerguerate bis ?
Concrètement, le Royaume offre ses infrastructures routières, portuaires, logistiques et, éventuellement, ferroviaires, aux pays de cette région pour accéder directement à la mer et exporter plus facilement leurs produits. En termes géopolitiques, cela confirme l’approche marocaine de la lutte contre le terrorisme, l’insécurité et l’instabilité par le développement et se traduit réellement par l’ouverture d’une route commerciale qui donne un accès direct sur la mer à des pays comme le Niger, le Mali, le Burkina Faso et même le Tchad. Une route qui passe, certainement, estiment les observateurs, par le nord de la Mauritanie, décrété zone militaire, et puis, par la zone tampon au Sahara. Une sorte d’El Guerguerate, mais en sens inverse. Faut-il rappeler que le Maroc et la Mauritanie viennent de renouveler leur coopération militaire, lors de la quatrième commission mixte réunie à Nouakchott. Une coïncidence ? En tout cas, «les deux pays sont, en fait, passés à un niveau plus développé de leur coopération. Il ne s’agit pas d’une initiative tactique, mais d’une dimension stratégique avec pour finalité la création d’un espace de sécurité et de développement dans cette zone de l’Afrique du Nord», commente la presse mauritanienne.
Ce qui fait de ce discours du 6 novembre le discours le plus important de la décennie, et non pas uniquement pour ce qui concerne le Maroc. «Si les routes commerciales du Sahel rejoignent le Maroc, cela signifie qu’elles passeront par la Mauritanie… et la zone tampon qui, en toute logique, devrait disparaître», commente cet analyste. Si cette situation se présentait, cela aurait pour conséquence l’assainissement de cette vaste zone aujourd’hui infestée par les mouvements terroristes, les trafiquants d’armes… bref, une zone instable. Nous nous retrouvons pratiquement dans un scénario semblable, mais en plus grande envergure, à celui du 23 novembre 2020. Et les récentes attaques du polisario contre la ville de Smara vont sans doute accélérer le processus. Par ailleurs, après deux résolutions successives pressant, dans des termes identiques, les parties –l’Algérie en premier lieu – à accélé-rer le processus de solution du conflit du Sahara, tout en mettant l’emphase sur le plan d’autonomie, il est également, estiment des analystes, fort probable que le Conseil de sécurité ne puisse pas aller au-delà. On peut même imaginer le scénario dans lequel la mission de la Minurso n’est pas renouvelée et que, par conséquent, le dossier soit retiré du CS. Après tout, l’ONU et son Conseil de sécurité ne font qu’exprimer la volonté de la communauté internationale. Et aujourd’hui, cette dernière est du côté du Maroc. «Dieu soit loué, alors que de nombreux pays ont reconnu la marocanité du Sahara, plusieurs autres États influents ont affirmé à leur tour que l’Initiative d’autonomie était la seule voie possible pour régler ce conflit régional artificiel», a rappelé le discours royal. Cela ne fait aucun doute, le Sahara est en passe de devenir un point de jonction entre trois continents et une fenêtre de l’Afrique sur le monde. Une fenêtre c’est peu. L’ALE conclu en 2006 avec les États-Unis, l’accord d’association avec l’UE et les 1.000 accords et conventions signés avec la majorité des pays africains en cette dernière décennie sont bien plus que cela.


Marine marchande, une flotte à reconstruire

Le constat est préoccupant. Février 2023, le Maroc renforce sa flotte avec l’entrée en activité du navire pétrolier «Challah». La flotte de commerce marocaine est ainsi portée à 16 navires, dont 4 pétroliers. En deux décennies, la flotte marchande marocaine a été réduite de 2/3. Pourtant, le transport maritime, névralgique pour l’économie nationale, assure 97% du commerce extérieur du Royaume. Il faut (fut) un temps, en 1986 plus précisément, où le seuil historique d’une capacité de plus de 400.000 tonneaux avait été atteint. À l’époque, quelque 63 navires battaient pavillon marocain et généraient plus de 25.000 emplois. En 2021, avec une quinzaine de navires, cette capacité a été réduite à un peu plus de 132.000 tonnes. Entre-temps, surtout depuis 2006, date de la libéralisation du secteur, et donc de la levée du soutien de l’État, les compagnies maritimes ont commencé à déposer bilan, l’un(e) après l’autre. Le phénomène s’est accéléré entre 2009 et 2011, suite au pic pétrolier de juin 2008 (151 dollars le baril). L’État avait bien lancé une étude en 2012 pour ressusciter le secteur, mais elle n’a pas eu de suite. Pourtant, tout le monde est conscient du fait que l’absence d’un pavillon national coûte très cher à l’économie. Cette réalité est d’autant plus frappante après la flambée des tarifs du fret maritime pendant la crise de Covid. Le constat est que des acteurs importants de l’économie dépendent du transport maritime. Le Royaume dépend toujours de la disponibilité des navires étrangers, et toute perturbation de la chaîne logistique au niveau international pourrait avoir des effets directs sur un large pan de l’économie. Cela d’autant plus que la nouvelle stratégie consiste en la réalisation d’unités flottantes de conversion du GNL dans des ports comme Mohammedia ou Nador et ensuite dans les autres ports du pays.


Une large ouverture sur l’Atlantique

Lancé en 2009, à Rabat, le processus des États africains atlantiques (PEAA) a pris le temps de mûrir. Ce groupement de 23 pays de la façade atlantique de l’Afrique a été réactivé en juin 2022, sous l’impulsion du Maroc. Depuis, trois réunions ont été tenues au niveau ministériel. L’objectif de cette initiative est de créer un espace de progrès, de paix et de prospérité partagés. Cette initiative incarne l’ouverture du Maroc sur l’espace atlantique dans sa globalité. C’est à la fois un processus d’intégration d’une région qui représente 46% de la population africaine et génère plus de 55% du PIB du continent. C’est également une fenêtre pour le Maroc sur l’autre façade atlantique, l’Amérique. Pour les États-Unis, mais aussi pour les pays de l’OTAN, c’est une barrière qui empêche les Chinois et les Russes d’avoir un accès sur le continent. C’est tout cela et plus encore. Si la première réunion du PEAA a eu lieu à Rabat en 2022, la deuxième réunion ministérielle. Elle a eu lieu à New York le 23 septembre 2022, et a lancé les travaux sur le Programme d’action, qui constitue une feuille de route pour permettre aux pays membres de cette initiative de réaliser leurs objectifs communs autour de trois priorités stratégiques. Il s’agit du dialogue politique et sécuritaire, de l’économie bleue, la connectivité maritime et l’énergie et de la protection ainsi que la conservation de l’environnement marin. Deux mois plus tard, trente-deux pays côtiers de l’Atlantique, répartis sur quatre continents, ont lancé le Partenariat pour la coopération atlantique. Cette nouvelle instance multilatérale rassemble un nombre sans précédent de pays côtiers de l’Atlantique.