Page 41 - La Vie éco - 12 Mars 2021
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société
t r a d i t i o n s
«Khtaba» et «delala» : marieuses et
intermédiaires disparues de nos jours…
n Des femmes, directement», explique Hajja
Zahra qui tient à préciser
sages et respectées, que «l’intervention de la delala
ont, durant le siècle n’avait pas une connotation
commerciale, c’était plutôt un
dernier, fait des service rendu discrètement à une
unions et conclu amie, une voisine, ou une femme
de la famille». Pour la khtaba, il
des transactions n’y avait pas non plus d’inté-
dans la plus haute ressement financier. Une fois
le mariage arrangé, les deux
discrétion. familles offraient un cadeau,
notamment un tissu ou une
n Hajja Zahra, paire de babouche (cherbil),
Khtaba et delala, une jellaba ou un haïk. Et la
khtaba était impliquée dans
revient sur cette tout le processus des prépara-
tranche de sa vie tifs du mariage et invitée à tous
les événements festifs de la
dans l’ancienne famille. Du nombre d’unions
Médina de qu’elle a scellées, Hajja Zahra
ne se rappelle plus : «Beaucoup,
Casablanca… parce que j’ai été sollicitée par un
grand nombre de familles avec
qui je suis toujours en contact.
ajja Zahra re- le temps, ce type d’activités était sœur divorcée ou vieille fille, un doit leur faire des proposi- J’ai assisté au fil du temps aux
plonge, trois normal et courant, parce que, tout frère chômeur et consommateur tions. Et photos à l’appui pour mariages des enfants et même ac-
heures du - d’abord, les jeunes, en particulier d’alcool ou de kif dévalorisent vanter la beauté des futures tuellement encore, et malgré mes
rant, dans sa les filles, ne sortaient pas beau- la mariée aux yeux de la mère épouses. L’échange de photos 88 ans, aux mariages des petits-
H vie d’avant : coup, donc il y avait peu d’oppor- de l’époux…Les jeunes filles de était essentiel, car les jeunes ne enfants de certains couples que
«Avant que les temps ne tunités de rencontres. Ensuite, les maintenant doivent s’estimer pouvaient pas se voir et sortir j’ai mariés au cours des années
changent, que la société ne femmes qui, pour une raison ou heureuses, car les contraintes ensemble, donc ils prenaient 50 et 60».
change et que le monde se moder- une autre, se trouvaient dans le sont plus légères actuellement», leur décision sur la base de la Peut-elle encore être ma-
nise, nous vivions autrement… besoin n’osaient pas vendre leurs dit Hajja Zahra, qui se rattrape photo ! Et la Khtaba d’ajou- rieuse et delala ? «Non, les
Avant c’était la simplicité, pas de affaires et leurs bijoux. Elles vou- rapidement «mais, aujourd’hui, ter : «Parfois, la mère choisissait temps ont changé, aujourd’hui
téléphone, pas d’ordinateur, rien, laient rester dans l’anonymat et elles ont d’autres contraintes, pour son fils, si la fille lui plait, tout est difficile», répond Hajja
il n’y avait que le contact direct, chargeaient la Delala de faire la parce que les familles recherchent elle passe outre l’avis de son fils. Zahra qui, faut-il le noter,
humain et chaleureux…». Avant transaction pour leur compte», une épouse qui a un emploi, un Au-delà de son statut de « ma- est très au fait des nouvelles
remonte, pour Hajja Zahra, explique Hajja Zahra tout en bon salaire et pourquoi pas un rieuse», Hajja Zahra avait une lois, du développement des
aux années 50 et 60 et même, précisant que «cela se faisait logement. Sans compter qu’avoir autre casquette : delala. Il faut réseaux sociaux qui, s’ils exis-
dira-t-elle, jusqu’aux années dans la plus haute discrétion. On en plus des parents riches serait comprendre intermédiaire… taient avant, auraient, dit-elle
70. Période durant laquelle, ne faisait pas du porte-à-porte un atout de taille !». Elle avait alors, cette fois, pour amusée, «facilité notre tâche. Les
résidant dans le quartier mais les missions étaient accom- charge de vendre des vête- mariés auraient pu se parler et se
Bab Marrakech, à proximité plies dans le cadre de réunions Les mutations de la société ments ou des bijoux pour le voir…». Les mutations de la
du célèbre marché de cette familiales ou entre voisins et de prennent le dessus compte d’autrui. «A l’époque, société marocaine lui font-elles
place, elle était «Khtabba et façon très subtile et fine». Et de rectifier qu’«avant les vendre ses anciens vêtements ou regretter les pratiques de son
Delala». Deux activités qui Ainsi, pour la Khtaba, la familles étaient également sou- ses bijoux, peu importe la raison, époque ? «Oui, dans le sens où
n’existent plus aujourd’hui et recherche d’une épouse est cieuses de la situation financière était hchouma et il fallait procé- les gens étaient proches les uns des
que les jeunes générations ne un long processus. «Il y a deux des futurs conjoints de leurs en- der discrètement. Donc, je prenais autres et la simplicité était de mise.
connaissent pas du tout. cas de figure, si la mère du jeune fants, mais l’accent était beau- les marchandises à vendre chez Aujourd’hui, on est plus renfermé
Femme au foyer, mère de homme a déjà une piste, je devais coup plus mis sur la réputation moi, la propriétaire m’en donnait sur soi, on se méfie de tout et de
six enfants et épouse du bou- rendre plusieurs visites pour des de la famille, des rapports entre les le prix d’achat et le prix qu’elle rien. Et ce virus n’a pas arrangé
cher du quartier, Hajja Zahra prétextes différents à la famille parents, l’éducation et lahdaga de souhaitait en obtenir. Les dela- les choses !», réplique Hajja Za-
était connue et respectée par de la jeune fille, me rapprocher la jeune fille qui doit être une par- lates ne rajoutaient pas de marge hra qui s’est faite vaccinée non
les autres femmes de son quar- d’elle pour observer la jeune fille faite maîtresse de maison». Après et une fois la vente conclue, les sans crainte. «Mes enfants m’ont
tier et des environs. Elle était et savoir s’il n’y a pas un ou les visites répétitives, la khtaba propriétaires donnaient une petite conseillé de le faire pour reprendre
sollicitée par plusieurs familles d’autres prétendants. Mais je parle à la mère de la jeune fille récompense qui n’était pas négo- une vie normale. Mais, depuis,
pour trouver un époux ou une devais aussi connaître la famille, du prétendant, présente sa ciée et très rarement contestée par je suis à l’écoute de mon corps,
épouse à leurs enfants et aussi la situation financière des parents famille et attend un retour. la dalala qui se contentait du j’ai peur des effets secondaires que
à trouver acheteur pour des et enquêter sur la réputation de la Dans le cas où la famille du don qui lui est fait. Cela diffère, j’ignore d’ailleurs (rires)… Allah
vêtements (en particulier des famille et surtout sur la situation jeune homme n’a pas de fu- actuellement, de l’intermédiaire ihfad !!!», conclut-elle n
caftans) et des bijoux. «Dans des autres sœurs, s’il y en a. Une ture épouse en vue, la Khtaba qui lui fixe sa marge et l’encaisse AZIZA BELOUAS
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