Page 43 - La Vie éco - 3 Avril
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culture






                                                                        P   A   R    U   T    I  O    N



                 «Pourvu qu’il soit





                 de bonne humeur»:





                 les coups et les doux




                 leurres








                   ■ Premier roman de Loubna Serraj «Pourvu qu’il soit

                   de bonne humeur» vient de paraître aux éditions
                   de La croisée des chemins ■ Le roman polyphonique
                   se saisit du thème délicat de la violence
                   conjugale, sa complexité et ses conséquences

                   transgénérationnelles.



                          ous ses ecchymoses   En 1939, Maya a quinze  mais aussi les
                          et ses amertumes,  ans. Si la priver de terminer  leçons qu’elles se trans-
                          qui est la victime  les études peut sembler in-  mettent…                                                teur de
                          de la violence  juste aujourd’hui, à l’époque     Inattendu et troublant, on                             la richesse du récit. Entre
                 Sconjugale? Déshu-           elle est déjà pas mal privilé-  finit par entendre la voix de                        les frères complices, les fils
                 manisée sous les coups d’un  giée d’avoir été à l’école. Car  Hicham, ce mari violent aux                         effacés, l’amant anxieux
                 monstre, que reste-t-il de  Maya est une jeune femme  allures de monstre et aux  UN RÉCIT DE VIOLENCE,            et le bourreau torturé, les
                 son intégrité, de sa dignité et  exceptionnelle, d’une intel-  coups délétères. Il se met à                       hommes ne sont «pas tous
                 de son âme ? Il est accablant  ligence vive, dont les centres  nu, dévoilant une faiblesse   MAIS SANS PATHOS NI   les mêmes» et heureuse-
                 ce constat que la violence  d’intérêt planent au-dessus  d’un autre ordre et un creux   OBSCÉNITÉ. IL NOUS INVITE   ment. Plus loin, l’on soup-
                 conjugale se communique  des préoccupations de ses  au ventre, perpétué par sa                                    çonne même l’auteure de
                 en chiffres et en taux, plu-  paires. Quand elle se marie  propre violence.          À RÉALISER L’IMPACT          délit de compassion envers
                 tôt qu’en récits de destins  au beau jeune homme aux                                 VÉRITABLE DE LA VIOLENCE     l’homme violent, dont les
                 brisés. Dans son premier  yeux clairs, elle est loin de   Ôtez-moi ces clichés                                    remords remontent en fin
                 roman, paru chez La croi-    se douter que sa vie ne sera   «Pourvu qu’il soit de bonne  ET QUE LE MAL DES UNS    de récit.
                 sée des chemins, Loubna  plus qu’un voyage au bout  humeur» est un roman salu-                                      Autre thème particuliè-
                 Serraj répare l’image d’une  de la nuit.                 taire. Bien que Maya ne s’en   FAIT LE TRAUMATISME       rement polémique : La
                 victime, en restaurant les    Lilya, elle, a tout pour elle  soit pas sortie indemne, son   DES AUTRES. PENSÉE ÉMUE   maternité et ce mythe de
                 bris de sa vie pour reformer  en 2019 : un job valorisant  personnage brise le stéréo-                            l’instinct maternel et de son
                 l’image de la femme derrière  au sein d’une grande rédac-  type de la victime. Coriace   POUR TOUTES LES FEMMES   amour inconditionnel qui a
                 les bleus.                   tion, une famille aimante et  et libre, malgré la violence   CONFINÉES AUJOURD’HUI   cela d’irritant qu’il condi-
                                              un amoureux transi qui ne  quotidienne qu’elle vit dans                              tionne l’empathie des gens
                 Victimes, mais pas que       rêve que de se lier à elle. Fé-  le silence, elle tranche avec  AVEC LEURS BOURREAUX...  pour la victime de violence.
                   «Pourvu qu’il soit de bonne  ministe de la première heure,  l’image de la femme faible                          «Une femme qui n’aime pas ses
                 humeur» est un récit poly-   elle connaît ses droits et s’en  et effacée, qui encaisse et se                      enfants ne mérite-t-elle pas la
                 phonique, nous transpor-     saisit. Mais sans se l’expli-  claustre dans sa position de                          compassion ?». Telle semble
                 tant entre deux époques  quer, son passeport ne quitte  victime. Si sa situation ne                               être la question provocante
                 différentes. Dans ce périple  jamais son sac, son sommeil  lui permettait pas d’autre  tourments indéfinissables  posée par Loubna Serraj.
                 douloureux, nous décou-      n’est jamais tranquille. Sou-  issue, la résilience dont elle  qui l’empêchent d’avancer.   «Pourvu qu’il soit de bonne
                 vrons une femme dans l’inté-  dain et sans aucune raison  a fait preuve lui a permis  Elle est la représentation  humeur» est un récit de vio-
                 gralité de son potentiel et la  compréhensible, des bleus  de prendre de la hauteur et  de générations de femmes  lence, mais sans pathos ni
                 richesse de sa personnalité,  et des ecchymoses fleurissent  de ne jamais plier au fond.  qui traînent des jougs an-  obscénité. Il nous invite à
                 pour plonger, ensuite, dans  sur sa peau, tout juste avant  Cela souligne particulière-  cestraux, des blessures ins-  réaliser l’impact véritable de
                 le détail de sa souffrance,  que Maya ne commence à  ment que la violence n’est  crites dans leurs gènes et  la violence et que le mal des
                 l’impact de la violence sur  s’inviter dans ses rêves.   pas l’apanage de la faiblesse,  qui doivent travailler dessus  uns fait le traumatisme des
                 elle et sur les autres, car le   A mesure que le récit  comme le voudrait le cliché  en pleine conscience pour  autres. Pensée émue pour
                 mal ne s’arrête jamais à la  avance, on découvre les per-  méprisant.                 espérer en bloquer la trans-  toutes les femmes confinées
                 personne battue. Il traverse  sonnalités des deux femmes,   Lilya, quant à elle, est  mission.                    aujourd’hui avec leurs bour-
                 les murs et même les géné-   les liens qu’elles nourrissent,  l’image de la femme libre,   Les personnages mascu-  reaux... ■
                 rations.                     les maux qu’elles partagent,  mais aux prises avec de  lins sont également à la hau-                         F.M.

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