Culture
«Le cinéma, c’est un passage de l’inconscience vers la conscience»
Atiq Rahimi, écrivain et réalisateur franco-afghan, a fait partie du jury de la 18e édition du Festival international du film de Marrakech. Avant la clôture de cette édition, il s’est exprimé sur le festival, le cinéma et la littérature…
Vous êtes venu au Festival de Marrakech, il y a plusieurs années. Aujourd’hui, vous revenez en tant que membre du jury de la 18e édition du FIFM. Qu’y a-t-il de nouveau pour vous cette année ?
Cette année, j’ai trouvé une autre ambiance par rapport aux années précédentes. Il y a clairement une nouvelle formule et une nouvelle approche au cinéma, mais surtout il est intéressant de voir les premiers et deuxièmes films des réalisateurs, ce qui nous donne un aperçu du cinéma de demain. Et c’est extraordinaire, parce qu’on voit le cinéma dans son état d’innocence. J’ai moi-même grandi. J’ai eu ma propre expérience et cela change assurément mon regard sur le cinéma. En même temps, il ne faut pas oublier, ces dernières années, la révolution technique et digitale dans le monde audiovisuel, a beaucoup changé le langage cinématographique. Comme c’est arrivé lorsqu’on est passé du cinéma muet au cinéma parlant, du noir et blanc aux couleurs. Mais aussi tous les changements idéologiques, économiques, politiques : tout cela influence le cinéma de demain.
Le cinéma de demain sera-t-il donc différent ?
Oui, mais toujours en continuité avec celui d’hier. C’est drôle de toujours noter chez les jeunes réalisateurs cette tendance de rompre avec le cinéma d’avant. Ils veulent changer le monde et se rebeller contre leurs aînés, mais c’est extraordinaire comme ce cinéma de demain puise dans les références des grands classiques. On peut évidemment être en totale rupture et faire un cinéma dépouillé, mais ça n’ira pas trop loin. Parce que le cinéma, comme la peinture ou la littérature, doit exister dans la continuité. La vraie rupture n’est possible que s’il y a un passé. Elle devient alors volontaire et réfléchie. Et c’est ce que j’ai vu dans les films de la 18e édition du festival.
Le cinéma s’est plus ou moins démocratisé, grâce à cette révolution technique et digitale. Comment se démarquer en tant que réalisateur ?
C’est toute la difficulté de cette époque. Il y a de plus en plus de films, de réalisateurs, de spectateurs. C’est un défi pour le réalisateur de prendre place dans l’histoire du cinéma. En effet, les moyens techniques ont simplifié la fabrication du film, mais cette simplicité crée d’autres contraintes majeures, plus dures qu’avant à mon sens, pour justifier sa présence en tant que réalisateur dans l’histoire du cinéma. L’approche technique est acquise aujourd’hui. Ce qui change c’est le regard sur le monde. Il faut avoir une certaine profondeur dans son regard sur le monde. C’est ainsi qu’on distingue les réalisateurs qui font du cinéma pour la mode et ceux qui sont habités par le monde.
Quelle place la littérature occupe-t-elle dans le cinéma aujourd’hui ?
Un film qui ne sait pas raconter une histoire, il tombe vite dans l’oubli. On a essayé de créer un cinéma sans histoire, on est vite passé. Pour moi, le cinéma ne peut pas se détacher de la littérature, même quand ce n’est pas une adaptation. Le scénario, le synopsis, la dramaturgie qui est vieille de plusieurs siècles: on ne peut faire un film sans littérature. Aujourd’hui, 60% des films sont des adaptations.
En ce qui me concerne, quand j’écris, je joue avec la langue de manière inconsciente. Cette langue qui m’a permis de connaître et communiquer avec le monde. Dans le film, les collaborateurs viennent me questionner sur ce qui était inconscient pour le sortir à la conscience. C’est cela, pour moi, le cinéma : un passage de l’inconscience vers la conscience.
Quel rapport y a-t-il entre le réalisateur Atiq Rahimi et l’auteur Atiq Rahimi ?
Quand on voit mes films, on dit souvent : On sent la patte d’un écrivain et quand j’écris on me parle d’écriture visuelle (rires).
Au début cela me dérangeait. Mais là je commence à assumer en me disant que peu de gens en ont les moyens. Je laisse parfois l’écrivain empiéter sur l’espace du réalisateur.
Dans mon dernier film, «Notre dame du Nil», j’ai tenu un langage purement cinématographique, mais l’écrivain en moi a inséré quatre poèmes dans le film. Et bientôt, je vais sortir un conte poétique, inspiré de mon film qui est l’adaptation du livre d’un autre.
Est-ce plus difficile d’écrire des livres, après avoir goûté au cinéma ?
Moi, je suis cinéaste de formation. J’ai écrit des livres après avoir fait des films documentaires et publicitaires. Je crois que le cinéma a beaucoup influencé mon écriture. Maintenant, il est vrai que lorsqu’on fait du cinéma, on devient un enfant gâté, capricieux. On a tout plein de gens à sa disposition au service de son film. On est comme un enfant face à ses legos, à son ego également.
Le cinéma c’est bien pour notre narcissisme. Mais lorsque j’ai envie de lui donner une claque à cet ego, je me mets à écrire. Et là je chiale tout seul et il n’y a personne à côté pour me consoler.
Sur la notion d’engagement dans le cinéma…
C’est très difficile de venir d’un pays comme l’Afghanistan et de ne pas l’être. Je ne dirais pas engagé. J’utiliserais plutôt le mot d’Albert Camus: «embarqué». Il constatait à juste titre que dès qu’on parlait, écrivait, prenait la caméra, on était embarqué dans l’Histoire, parce que c’est ce qui restait de nous : Une trace de pinceau, une image, un mot. Même les réalisateurs les plus extravagants et les plus détachés de toute forme d’engagement s’embarquent à leur façon dans l’histoire.
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