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Culture

Festival d’Essaouira : Dhafer Youssef, l’oud-yssée d’une âme soufie

Dhafer Youssef, maître du oud, a électrisé la scène Moulay Hassan le 20 juin avec son jazz mystique. Fusion de soufisme et grooves modernes, il transcende tout ! Une quête spirituelle qui secoue l’âme et les sens.

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La nuit s’étire, brûlante, sur la scène Moulay Hassan. Une foule compacte, hypnotisée, attend l’étincelle. Et puis il arrive, Dhafer Youssef, oud en bandoulière, regard habité. À 57 ans, le Tunisien n’est pas là pour jouer des notes, mais pour invoquer des mondes. Dès les premières vibrations de son luth, c’est un raz-de-marée. Un jazz qui chavire, qui s’élève comme un appel à la prière. Bienvenue dans une transe où le soufisme danse avec des grooves futuristes, où l’âme s’égare pour mieux se retrouver.

 

Né à Teboulba, près de Monastir, Youssef a grandi dans un village où la musique était une religion. À six ans, il chantait déjà dans les mariages, sa voix résonnant dans les ruelles poussiéreuses. À l’école coranique, il apprivoise les chants liturgiques ; au hammam, il découvre l’écho mystique de son timbre. Mais c’est le oud qui devient son Graal. Refusé par le conservatoire de Tunis, qui lui préfère sa voix, il s’exile à Vienne à 22 ans, sans un sou mais avec des rêves plein la tête. Là, loin des carcans académiques, il forge Malak (1999), son premier album, dans l’effervescence du club Porgy & Bess. Suivront Electric Sufi (2001), flirt avec la scène norvégienne, et Birds Requiem (2013), où il décloisonne les genres.

Ce soir, quelques morceaux issus de son neuvième opus Streets of Minarets (2022) ont eu les honneurs de la scène. Cinq ans de maturation, un casting de géants – Herbie Hancock, Marcus Miller, Dave Holland, Vinnie Colaiuta, Ambrose Akinmusire, Rakesh Chaurasia, Nguyên Lê – et une méthode renversée : «D’habitude, je compose d’abord, explique Youssef. Là, j’ai choisi les musiciens avant». Enregistré entre Los Angeles, Paris et Bombay, l’album est un voyage. Funk par éclats, soufi dans ses silences, il porte les traces d’une vie nomade, de la Tunisie à New York, de la Turquie à la Suède. On y retrouve la flûte bansuri de Chaurasia qui dialogue avec les percussions d’Adriano Dos Santos Tenorio, la basse de Miller qui pulse comme un cœur, et la voix de Youssef, tantôt grave, tantôt dans des aigus irréels, qui évoque les mégaphones de l’appel à la prière.

Sur scène, Youssef est un chaman. Son oud, loin du folklore, devient une machine à explorer l’invisible. Dans «Whirling Birds Ceremony», il fait chanter l’instrument comme une âme en fuite, pendant que sa voix, pure et tranchante, semble défier les lois de la physique. Le public, suspendu, bascule entre recueillement et extase. Pas de posture ici, juste un type qui creuse l’universel dans les cordes de son oud.

Inspiré par le poète soufi Abu Nawas, libre et subversif au VIIIe siècle, Youssef vit sa foi sans dogme, embrassant les plaisirs et les doutes. Il n’est pas un « guitar hero », mais un « oud hero », un passeur qui refuse les étiquettes et le kitsch. À Essaouira, il a prouvé que le jazz peut être une prière, le oud une révolution, et la musique un refuge contre un monde qui vacille. La foule, debout, hurle. Les mouettes, elles, écoutent.