Culture
Daoud, l’exilé couronné : De l’Algérie à la France, le poids des mots
Ce lundi 4 novembre, le verdict est tombé: Kamel Daoud, écrivain algérien exilé en France, a été couronné du prix Goncourt pour son roman « Houris ». Au premier tour, par six voix, le jury a plébiscité cet ouvrage magistral, empreint d’une intensité remarquable, qui rappelle à la mémoire collective les plaies profondes de la « décennie noire » algérienne (1991-2002).
« Houris » est avant tout le récit d’une survivante et d’un exil, celui d’Aube, jeune fille mutilée lors du massacre de son village un soir de décembre 1999, où mille vies furent fauchées. Ce personnage central, à la voix brisée, mais obstinée, porte en lui le souvenir d’une enfance happée par la violence. Avec sa cicatrice qui court sous le menton, Aube incarne une Algérie déchirée, encore hantée par ses fantômes. Dans l’intimité d’un monologue adressé à sa fille à naître, elle cherche, mot après mot, à transmettre l’histoire qu’on lui refuse, à conjurer le spectre de l’oubli.
Goncourt : Le jury dit non à la censure, oui à Daoud
Le sacre de Kamel Daoud par le Goncourt résonne comme un acte de défiance face aux censures qui gangrènent le monde littéraire. L’Algérie, rappelons-le, a banni les éditions Gallimard du Salon international du livre d’Alger pour avoir publié cet ouvrage jugé trop audacieux. En attribuant ce prix à Daoud, le jury affirme, avec une élégante fermeté, le droit inaliénable des écrivains à témoigner, à questionner et à déranger.
À cinquante-trois ans, Kamel Daoud est un exilé par nécessité. L’auteur a quitté Oran pour Paris, non sans amertume, endossant la nationalité française comme un fardeau et une libération. « J’ai le syndrome d’Apollinaire, je suis plus français que les Français », souligne-t-il, citant le poète qui, lui aussi, portait en lui la nostalgie de terres étrangères. Dans son Algérie natale, on le désigne parfois comme un traître, un intellectuel qui refuse les carcans idéologiques et les illusions d’un discours décolonial. Il se tient à la marge, assumant une posture singulière, celle d’un « exilé par la force des choses », disait-il au Point, le magazine français où il est chroniqueur, en août.
Né en 1970 à Mostaganem, Daoud fait ses armes dans le journalisme, au sein du « Quotidien d’Oran ». Il parcourt son pays en quête de vérité, confronté aux séquelles de la guerre civile. « Le journalisme est essentiel, mais il ne suffira jamais à raconter une guerre », a-t-il confié au « Madame Figaro ». Dans cette phrase, toute la vocation de Daoud s’incarne : dépasser le simple constat pour plonger dans la profondeur des âmes, là où le langage journalistique trouve ses limites et où la littérature s’impose. À l’aube des années 2000, il se fait remarquer comme auteur avec « Meursault, contre-enquête », chef-d’œuvre qui lui vaut d’être frappé par une fatwa, signe de son audace et de son refus de taire l’indicible.
« Houris » : Un chant funèbre et un hymne à la vie
Avec ‘Houris’ – terme qui évoque, dans l’imaginaire coranique, les femmes célestes promises aux fidèles – Daoud se lance dans une dénonciation frontale de l’amnésie qui entoure les crimes islamistes. En préface de son ouvrage, il place l’article 46 de la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » algérienne, qui menace de peines lourdes quiconque tenterait de ressasser les blessures du passé. Ce choix délibéré manifeste son intention de briser les entraves du silence officiel. Mais Houris n’est pas un simple acte d’accusation : c’est une quête de rédemption, une exploration des chemins qui, après le chaos, mènent à la résilience. « Je n’écris pas une guerre, mais comment on en sort », explique Daoud à « L’Obs ».
Le style de « Houris » est un torrent de mots, une prose enflammée, brûlée par l’urgence de dire. « Un long chant polyphonique », note « Le Figaro littéraire », comme une rivière qui gronde et qui emporte tout. L’écriture de Daoud, dense, foisonnante, se déploie en confidences et en éclats, dessinant un rythme imprévisible et fascinant, à l’image de cette guerre civile qui a tout bouleversé.
En attribuant le Goncourt à « Houris », les jurés ont fait le choix de la mémoire, du devoir de vérité, de la fidélité aux voix qui refusent de sombrer dans l’oubli. Kamel Daoud se tient, par cette œuvre, comme un passeur de mémoire, un écrivain pour qui les mots sont des armes et les souvenirs, des remparts contre l’effacement. « Houris » est un cri, une déflagration littéraire qui rappelle que certaines douleurs, même enfouies, finissent toujours par resurgir. Avec ce roman, Daoud nous offre un moment de vérité, un pont fragile entre l’ombre et la lumière.
*« Houris », Kamal Daoud, Les éditions Gallimard, 411 pages, 2024, 288 Dh.