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1963 : Le «Système Leclerc» au Maroc
Il y a 60 ans, les premiers «centres commerciaux» voient le jour. La recette gagnante : gros chiffres d’affaires et petites marges bénéficiaires.

On parle beaucoup actuellement des coopératives dans le domaine commercial. S.M. le Roi a annoncé, lors du discours du Trône de mars, une évolution pour ne pas dire une révolution dans l’organisation du commerce.
On commence aujourd’hui à avoir quelques indications dans ce domaine: suppression des intermédiaires pour les produits de grande consommation par la création de coopératives, marocanisation de certains compartiments qui seraient réservés aux nationaux. On relève dans cette politique un double souci : d’une part, protéger les intérêts des consommateurs, d’autre part, donner aux commerçants nationaux une possibilité de reconversion.
Néanmoins, en se plaçant sur le seul plan de l’intérêt général, le commerce ne saurait devenir un privilège, et si le commerçant a son utilité, celle-ci ne peut se concevoir qu’en fonction de l’intérêt du plus grand nombre, c’est-à-dire du consommateur. A cet égard, les magasins de type Leclerc méritent, au Maroc, une certaine attention.
Le système Leclerc est bien connu : réduire au maximum les frais généraux, serrer au plus près les marges bénéficiaires et plutôt que de faire de gros bénéfices sur des petites ventes, prélever de petits pourcentages sur de fortes ventes.
Les premiers bénéficiaires de ce système au Maroc ont été les fonctionnaires. Il s’est en effet créé sur des boulevards périphériques une première coopérative, le GAAP réservé essentiellement aux fonctionnaires et au personnel de quelques grandes entreprises.
Cette coopérative percevait un droit modique annuel (1.000 f.) et consentait des prix très serrés à ses abonnés.
Des commerçants avisés se disent que le système avait du bon et que les fonctionnaires ne devaient pas être les seuls à bénéficier d’une telle initiative. Il s’est donc créé d’autres magasins de ce genre, ouverts à tout le monde, le premier rue de Bar Le Duc, le second rue Karatchi.
Un phénomène de concentration
On assista dès lors à un phénomène curieux, le développement du magasin de la rue Karatchi incita d’autres commerçants à ouvrir, à proximité du magasin «JV» (Jean de Verteuil, promoteur de l’affaire), des magasins similaires, ce fut «Star» et «Opéra» tous deux rue Karatchi et, dernièrement, un troisième magasin dans le même pâté de maisons, rue Jacques Cartier.
Bref, le quartier de la place de Bandoeng est devenu en quelques mois un centre commercial fort attractif, puisque quatre magasins y sont en mesure de consentir des prix extrêmement bas. Cette concentration a-t-elle porté préjudice aux premiers magasins coopératifs installés à proximité? Il ne semble pas, les chiffres d’affaires de JV par exemple n’ont cessé de progresser et le phénomène est très vrai qui veut que la présence de magasins du même type dans un même quartier constitue, en définitive, une bonne affaire pour les intéressés.
Le système self-service permet de réduire tous les frais de personnel. De la même manière, les fournisseurs en apportant eux-mêmes la marchandise jusque dans leurs rayons suppriment les frais habituels de manutention.
Ce débit très important apporte d’ailleurs un avantage supplémentaire, tous ces produits sont renouvelés très rapidement, certains même chaque jour. En résumé donc, ces magasins reposent donc sur les principes suivants:
– Un très gros écoulement qui permet d’obtenir des prix très étudiés de la part des fournisseurs.
– Des frais généraux réduits au maximum (un magasin comme « JV » ne dépasse guère 200.000 f. par mois de frais généraux pour un chiffre d’affaires supérieur à 20 millions: leur part n’est donc que de 1 %).
– Des marges bénéficiaires très étroites (3à 5 % au maximum) et prix coûtant pour les produits de grande consommation.
Cela exige évidemment une organisation solide et parfaite, il est certain que des magasins de ce genre ne peuvent se développer dans tous les quartiers. Pour le moment donc, la place de Bandoeng et la rue Karatchi sont au centre de cette activité commerciale particulière qui apporte une contribution intéressante à la lutte contre la vie chère.
