SUIVEZ-NOUS

Archives

Archives LVE. 1924, Le Casa-Dakar, une urgence

Il y a 100 ans, une ligne commerciale aérienne entre les deux villes devenait de plus en plus pressante. Latécoère, compagnie privée, est déjà à pied d’œuvre pour assurer la liaison.

Publié le

Nos confrères, répondant à l’appel de celui qui le premier relia Casablanca à Dakar par voie aérienne, ont publié de longs articles sur la nécessité de mettre en exploitation la ligne Latécoère Casa-Dakar. Et comme chaque fois qu’il s’agit d’une question d’intérêt public, d’un progrès à réaliser, d’une grande œuvre, pas une note discordante n’a troublé l’harmonie des accents de la presse du Maroc. Mais il ne suffit pas d’exalter le Casa-Dakar Latécoère, il faut dire pourquoi le Protectorat ne saurait retarder d’un seul jour l’ouverture de cette ligne commerciale d’avions, sans compromettre gravement les intérêts français au Maroc et dans le monde.

J’ai eu la bonne fortune de rencontrer à Paris M. Latécoère (…). Dakar, qui sera demain la tête de ligne du plus vaste réseau d’avions, le plus difficile, le plus sûr, le mieux organisé, l’on peut en être assuré si les autorités du Protectorat font leur devoir en produisant l’effort utile là où elles n’ont pas le droit d’y manquer. Avec son sang-froid de chef, la concision du maître qui sait et qui veut, Latécoère me dit : «Nous sommes prêts. C’est à vous, la Presse, d’agir, à votre tour, pour que les subventions indispensables soient concédées». Donc un premier fait net et précis : les avions Latécoère sont à pied d’œuvre, les pilotes, admirables de courage tranquille, d’audace raisonnée, trépignant, par instant d’une légitime impatience, attendent pour s’élancer vers Dakar (…). Il ne manque plus maintenant que le capital utile souverain maître, dans ce siècle réalisateur, des forces de toutes puissances.

Le profane s’étonnera peut-être de ce que Latécoère vienne aux pouvoirs publics, simplement, sans fausse timidité, avec cette confiance de l’homme d’action, et leur demander une subvention de plusieurs millions qu’il juge – après l’effort organisateur fourni – le deus ex machina du Casa-Dakar aérien. Il n’y a là, pourtant, qu’une chose toute normale. Une entreprise courante de transport public ne peut vivre sans subvention, pas plus ailleurs qu’au Maroc. Voyez les T.A.C. de. Casablanca ! Combien coûteront-ils à la ville ? Encore qu’ils ne soient que d’une importance urbaine, donc limitée à un domaine infime comparé à celui qui nous préoccupe ici. Ajoutez la C. T. M. et les millions de subventions qui lui sont nécessaires, les Compagnies de navigation, que le gouvernement de la Métropole a dû bien souvent sauver du désastre. Et vous comprendrez que les quelque dix millions du Casa-Dakar sont d’une insignifiance telle qu’une administration de tout premier ordre, seule, puisse s’en contenter. D’autre part, les pouvoirs publics sont-ils à même de fournir les sommes demandées ? Je réponds : Oui, j’ajoute très facilement même malgré la crise des changes, malgré la situation générale de notre pays. À Paris, certes, il est assez difficile d’obtenir quelque chose, plus par raison politique que par pénurie d’argent. Poincaré ayant décidé de n’accorder des crédits que contre des rentrées nouvelles et certaines. Cependant, il est probable que le gouvernement français fournira une partie de la somme, qui n’est rien auprès du gaspillage national. (…). À Rabat, il est facile – n’en déplaise à M. Piétri – de trouver sur le budget des dépenses inutiles (subventions aux journaux de France et du Maroc) de quoi nous donner la ligne aérienne Casa-Dakar. Il s’agit ici de vouloir. C’est tout. Au besoin, nos concitoyens consentiraient encore volontiers bien que très pressurés déjà à payer un sou de plus aux timbres de quittance et papiers timbrés, à la condition, bien entendu, que ce soit pour le Casa-Dakar. L’on n’a pas hésité à porter, d’un seul coup, le papier timbré de 0 fr. 40 à 1 franc (ce qui constitue un record de hausse brusquée) pour couvrir je ne sais quelle dépense non avouée. Les hommes d’affaires verseront bien quelques sous pour constituer les millions que nous réclamons aujourd’hui. Oui ! Latécoère, quoi qu’on dise, a raison d’en appeler à tous pour l’obtention du capital utile à la réalisation de son œuvre. Quoi ! Il a osé l’impossible, le jamais réussi; il a travaillé avec son âpreté coutumière, soutenu par la seule espérance du succès et, au dernier moment, il échouerait parce qu’en haut lieu on préférerait les adulations inopérantes et désuètes de journaux à solde ; à la mise en exploitation d’une ligne aérienne d’intérêt mondial. Non ! Malgré les inexpériences des jeunes gens de la Cabine civile, le Protectorat aura à cœur de placer la France – comme nous le faisons – au-dessus de toute autre préoccupation d’amour-propre.