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Idées

Un avocat énervé répond à  un magistrat en colère !

Sans vouloir généraliser, en 30 ans de carrière, je n’ai jamais vu un magistrat mourir d’épuisement; par contre, j’ai souvent trouvé porte close, les magistrats désertant le tribunal dès leur audience terminée, ne s’attardant pas trop sur les lieux, car d’autres tà¢ches primordiales les attendaient sans doute, comme accompagner les enfants à  l’école, faire les courses pour madame, ou faire du sport en salle pour garder la forme.

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boucetta 2013 01 15

Dans un récent numéro d’un  confrère, un article en double page titrait sur «le Journal d’un juge en colère», qui comporte un certain nombre d’assertions… pour le moins curieuses, infondées, et parfois diffamatoires. Je n’entends pas engager une polémique à ce sujet, les instances concernées sont libres de réagir comme elles l’entendent, mais il me semble utile de donner un autre point de vue, concernant les allégations de ce magistrat.

M. «Le juge» affirme ainsi pour commencer avoir été surpris par l’infrastructure des tribunaux, comme si avant de finir son stage de magistrat, il débarquait de la planète Mars et n’avait jamais mis les pieds dans un tribunal de son pays ! «Sachez que les juges n’ont pas de bureaux personnels, ils se relaient dans de petits locaux pour travailler». Faux : à Casablanca (et dans toutes les grandes villes du pays), les juges sont confortablement installés, dans des espaces aérés, agréables, qu’ils décorent d’ailleurs ostensiblement avec soin, goût…, ce qui suppose une certaine opulence ; une visite rapide dans les tribunaux casablancais suffit à s’en rendre compte.

«Je consacre aussi 8 h par jour à rédiger des jugements, car il faut être précis, et n’omettre aucun détail dans le document final qui sera remis aux justiciables». Donc, en plus des 6 h d’audience annoncées, ce brave homme travaille 14 h par jour…

Sans vouloir généraliser, en trente ans de carrière, je n’ai jamais vu un magistrat mourir d’épuisement ; par contre, j’ai souvent trouvé porte close, les magistrats désertant le tribunal dès la fin de l’audience, ne s’attardant pas trop sur les lieux, car d’autres tâches primordiales les attendaient sans doute, comme accompagner les enfants à l’école, faire les courses pour madame, ou faire du sport en salle pour garder la forme, car le juge affirme que «son travail est abrutissant (merci pour ses collègues !)»

Si notre magistrat affirme «lire pour évoluer», on ne peut que constater que les bibliothèques dévolues aux magistrats sont rarement remplies à craquer, et que peu de jugements sont étayés par des références de livres, revues ou autres publications ; peu ? Que dis-je ? Aucun jugement ne comporte ce genre de référence, prouvant qu’il y a eu études ou recherches. Les arrêts sont souvent et tellement truffés d’erreurs en tous genres, que le législateur marocain dans sa sagesse a cru nécessaire d’inventer une procédure nommée «Requête aux fins de rectification d’erreur matérielle» : un zéro oublié par-ci, un autre ajouté par là, un prénom mal recopié, une adresse tronquée, sont fréquents dans les arrêts rendus ; on ne peut que rester sceptiques devant les affirmations de M. «Le juge», quant à la charge effective de travail, et la qualité des jugements rendus.

Traitant de la corruption, le magistrat botte en touche, sans oublier pour autant d’égratigner les «rabatteurs, dont certains avocats». Il assumera ces propos diffamatoires à l’égard d’une noble profession, mais on notera que la Banque Mondiale dans un rapport portant sur «l’évaluation du système juridique et judiciaire marocain», relève qu’«il n’existe pas de code d’éthique judiciaire, la notion de bon comportement dérivant de la coutume et des principes de l’Islam».

Et donc quand notre honnête magistrat se plaint que «après avoir payé le loyer et le crédit de la voiture, il ne me reste rien», on ne sait si on doit retenir un sourire ou verser une larme. A en juger par les berlines occupant le parking des magistrats, par la qualité des costumes portés, la régularité des vacances en Espagne, ou l’acquisition d’appartements dans de beaux quartiers, on se demande de qui il se moque…surtout quand il confirme, (et on ne lui a rien demandé) qu’«être juge implique de grosses dépenses pour l’entretien personnel», ce dont personne n’a jamais douté.

Il se plaint également de «l’image de fonctionnaires corrompus jusqu’à la moelle qui nous colle à la peau», appuyant ses propos par un adage surprenant, peu connu et introuvable dans les publications dédiées aux citations en tous genres : «Un juge juste et honnête est haï par la moitié de la société».

Rappelons-lui seulement un autre proverbe bien connu celui-là, qui affirme qu’«il n’y a pas de fumée sans feu», et que si la société marocaine ne considère pas la magistrature d’un bon œil, il faut admettre qu’elle doit avoir de bonnes raisons à cela, à moins de ne pas admettre la moindre critique en se murant dans des convictions peu crédibles.