Tribune
Comment faire de l’enseignement efficace un levier pour la réussite des réformes pédagogiques
Pour assurer l’efficacité des réformes, il est nécessaire de reconsidérer la manière dont les programmes sont enseignés, plutôt que d’adapter ou de rajouter de nouvelles filières ou disciplines.
Les étudiants n’ont jamais été aussi nombreux à devoir composer avec les difficultés d’apprentissage, de manque d’encadrement et les problèmes d’intégration. Ce qui mène à l’abandon universitaire et engendre des coûts considérables associés à la rétention, au décrochage et au retard dans l’obtention du diplôme.
Selon le ministre de l’Enseignement supérieur, près de 50% des étudiants quittent l’université. Il s’agit donc d’un chiffre alarmant pour que l’université marocaine compose avec leur situation malgré la multitude de réformes que le secteur a connues durant les vingt dernières années. Dans cet article, nous cherchons à explorer comment l’enseignement efficace pourrait aider à réduire le taux d’abandon universitaire, améliorer la réussite des étudiants et contribuer à rendre les réformes pédagogiques plus efficaces.
Pour contribuer à résoudre cette problématique, le ministère compte donc coordonner la création de nouveaux programmes, refondre des filières existantes et les adapter aux exigences du marché pour les rendre plus attrayantes aux yeux des étudiants. Cependant, pour garantir l’efficacité des réformes, il serait sans impact de rajouter, adapter des filières ou juxtaposer de nouvelles disciplines, sans repenser le mode opératoire avec lequel ces programmes sont enseignés. Il est impossible de réformer l’éducation de manière appropriée sans comprendre comment les gens apprennent et réfléchissent (Mayer, 2002). Cela met en exergue le rôle prédominant de l’enseignant universitaire, la qualité des enseignements et l’impact des apprentissages.
Les conclusions de recherche en éducation montrent que nous ne pouvons pas ignorer l’impact positif et le potentiel inexploité d’un bon enseignement sur la réussite académique, l’inclusion et l’équité scolaire. Néanmoins, l’accent mis sur la qualité de l’enseignement dans l’enseignement supérieur a été et reste limité. Nous constatons que dans la pratique, les enseignant(e)s de l’enseignement supérieur ne sont pas formé(e)s pour enseigner efficacement aux étudiants. Ceci engendre des relations asymétriques entre les acteurs : professeurs sous pression et frustrés et des étudiants en difficulté dès la première année.
Harmoniser les pratiques efficaces d’enseignement prouvées par la science
Durant les dernières années, l’enseignement universitaire basé sur des preuves (Evidence-Based Learning) s’appuie sur trois sources : les résultats de la recherche (éducation et sciences cognitives), les connaissances expérientielles et les préférences des étudiants. L’acte pédagogique efficace repose sur la maîtrise de deux processus intimement liés : le design de l’enseignement, la gestion de classe et des comportements en milieu universitaire. En effet, l’université doit être un lieu où les efforts sont déployés pour aider l’étudiant à développer son savoir et cultiver ses valeurs.
L’université marocaine ne manque pas d’enseignant(e)s hautement qualifié(e)s. Cependant, nous cherchons à harmoniser les méthodes d’enseignement et d’apprentissage efficaces en fonction des critères pédagogiques appuyés par les sciences de l’éducation et cognitives, comme les compétences des étudiants, leurs prérequis de connaissances et le degré de la complexité de la tâche à réaliser.
Si nous admettons que les apprenants construisent les apprentissages de façon autonome, il sera à la charge de leurs enseignants de guider et cadrer cette construction. Ceci en tenant compte du niveau des étudiants (débutant et/ou en difficulté) et la capacité de leur mémoire de travail à traiter et stocker les connaissances de façon durable et profonde (Sweller, 1998). Il s’agit d’une architecture pédagogique qui intègre une pédagogie explicite et guidée allant du simple au complexe, et une autre constructiviste favorisant l’autonomie, la découverte et la résolution de problèmes complexes. (Bocquillon et al., 2020)
Ainsi, en adoptant à titre d’exemple une démarche de «learning design», l’enseignant rend l’ensemble des dimensions de son enseignement plus explicites (les démarches, les objectifs, les étapes, les évaluations…). En alternant ce qu’il doit faire et ce que les apprenants auront à pratiquer à l’intérieur et en dehors de la classe. Cela évitera l’implicite, une source de confusion qui peut compromettre l’apprentissage et amener les étudiants à se désengager. Et cela améliorera considérablement la réussite académique des étudiants en renforçant leurs motivations et inclusions à l’université.
Prioriser le développement professionnel des enseignants et la recherche scientifique en «learning sciences»
Les chercheurs et les décideurs reconnaissent qu’il est tout aussi impératif pour les enseignants de l’enseignement supérieur de faire preuve d’un ensemble de compétences et d’attributs pédagogiques efficaces dans la salle de cours.
Les enseignants sont des apprenants et les principes d’apprentissage et de transfert pour les étudiants apprenants s’appliquent aux enseignants. Si leurs expertises sont reconnues sur le «quoi» enseigner, les enseignants ne le font pas systématiquement sur le «comment» et le «pourquoi». Par conséquent, les enseignants ont besoin de développer une compréhension de la pédagogie en tant que discipline scientifique reflétant les théories de l’apprentissage, comme la connaissance dont les caractéristiques personnelles des apprenants influencent leur apprentissage. D’où l’intérêt d’encourager les centres de pédagogie universitaires qui ont pour mission le développement professionnel des enseignants, la qualité de l’enseignement, l’harmonisation des pratiques enseignantes efficaces et la réussite étudiante.
Par ailleurs, il serait judicieux d’institutionnaliser la réflexion pédagogique pour identifier les pratiques enseignantes révélées efficaces par la recherche scientifique et les diffuser aux intervenants de l’écosystème éducatif. De même, il serait stratégique d’encourager la recherche, notamment expérimentale, dans l’enseignement supérieur. Ce qui contribuerait à informer les décisions de transformation de notre système éducatif sur la base de cadre conceptuel et expérimental solide.
Si le ministère se penche sur l’élaboration de nouveaux cahiers des charges pour réhabiliter l’université à s’adapter à son environnement externe, il est du devoir des acteurs de l’université de répondre aux besoins des étudiants et faire de la question du décrochage universitaire un défi institutionnel à surmonter. Nous soutenons que pour que les réformes de l’enseignement aboutissent, les dirigeants de l’enseignement supérieur doivent concentrer leurs efforts sur l’amélioration de la qualité de l’enseignement dans les classes universitaires.
L’inscription du plus grand nombre d’étudiants était autrefois un défi quantitatif dans l’enseignement supérieur. Maintenant, c’est devenu de plus en plus un défi de qualité de l’enseignement et de l’apprentissage que de s’assurer que tous les étudiants reçoivent l’éducation dont ils ont besoin et qu’ils sont en mesure de terminer leurs études pour réussir. Que les décideurs de l’enseignement supérieur fassent écho à ces recommandations!
Par Said Benamar, docteur en sciences de l’éducation et directeur de la formation Executive à l’Université internationale de Casablanca (UIC)
Références :
Mayer, Richard. (2002). Cognitive Theory and the Design of Multimedia Instruction: An Example of the Two-Way Street Between Cognition and Instruction. New Directions for Teaching and Learning.
Sweller, John & Van Merrienboer, Jeroen J. G. & Paas, Fred. (1998). Cognitive Architecture and Instructional Design. Educational Psychology Review.
Bocquillon, M., Gauthier, C., Bissonnette, S. & Derobertmasure, A. (2020). Enseignement explicite et développement de compétences : antinomie ou nécessité ?