Idées
Pourquoi notre trajectoire de développement est-elle positive ?
De nouvelles recherches sur le développement humain révèlent une image de progrès très important en termes de développement au Maroc au cours des deux premières décennies du millénaire. Cependant, des inégalités territoriales importantes subsistent. C’est ce que nous explique Jihane Laghrari, directrice associée à McKinsey Casablanca, dans cette tribune.
Le récent rapport du magazine américain US News selon lequel le Maroc est le premier pays africain dans l’indice de qualité de vie pour 2023 témoigne de décennies de progrès constants en matière de développement humain dans le pays. En effet, une nouvelle recherche du McKinsey Global Institute (MGI) le confirme, bien qu’elle démontre également que des poches de préoccupation subsistent dans tout le pays et qu’il existe des variations substantielles d’un territoire à l’autre.
La recherche de McKinsey Global Institute adopte une vision «haute résolution» sans précédent du développement humain à travers le monde en zoomant sur les détails à une échelle 230 fois plus granulaire que ne le permettent les études et les classements conventionnels au niveau des pays. Elle montre comment le Maroc a progressé entre 2000 et 2019. Deux mesures clés du développement ont été prises en compte : l’espérance de vie et l’activité économique (mesurée en PIB par habitant) et les chercheurs ont combiné des données officielles avec de nouvelles techniques de recherche, telles que des études de luminosité par satellite qui mesurent l’activité en fonction de la quantité de lumière artificielle émise, pour dresser un tableau nuancé du développement à travers le pays. Des enseignements très riches émergent de cette recherche.
Une trajectoire vers la prospérité
En 2000, le Maroc avait une partie de ses microrégions classées comme «zones orange», c’est-à-dire des zones où le PIB par habitant et l’espérance de vie se situaient parmi les 30% inférieurs au niveau mondial. Concrètement, cela équivaut à un revenu moyen par personne inférieur à 2.400 $ et une espérance de vie inférieure à 65,6 ans. Un peu moins d’un million de personnes au Maroc vivaient dans des «zones orange».
Le reste de la population vivait dans des «zones grises» – où le PIB par habitant et l’espérance de vie dépassaient les 30 % inférieurs à l’échelle mondiale mais n’avaient pas encore atteint le statut de «zone bleue» – marquant les 30% supérieurs à l’échelle mondiale qui bénéficient de plus de 8.300 $ de revenus et 72,5 ans d’espérance de vie.
Avance rapide de près de 20 ans, et l’image est complètement différente. En 2019, le Maroc n’a presque plus de «zones orange» et environ 40 % de la population vit dans des «zones bleues» ; ce qui signifie que près de la moitié de la population marocaine est classée dans la catégorie jouissant d’une qualité de bien-être représentative du tiers supérieur de la population mondiale ayant franchi les seuils de 8.300 $ et 72,5 ans. Il s’agit d’une optique intéressante pour un pays qui s’est classé 132e sur 193 pays pour le PIB par habitant en 2019 et 107e sur 169 pays dans l’indice du capital humain 2021 de la Banque mondiale.
Notre monde est vaste et complexe, et pour le comprendre plus facilement nous avons eu tendance à revenir aux moyennes nationales et régionales qui compriment le progrès humain en un seul chiffre qui peut être soigneusement assemblé dans des classements mondiaux. Mais bien que cela joue un rôle vital dans l’organisation des informations afin qu’elles soient exploitables, une telle vue consolidée risque de brouiller la réalité en laissant de côté des détails importants de ce qui se passe réellement sur le terrain.
S’assurer que nous racontons toute l’histoire
En ne racontant qu’une partie de l’histoire, nous risquons d’obscurcir des informations potentiellement importantes qui distinguent ce qui façonne les choses pour le meilleur ou pour le pire. Le MGI a constaté que le taux de croissance du PIB d’un pays n’explique qu’environ 20 % de la variation des taux de croissance entre ses microrégions, illustrant la nécessité d’évaluer le progrès économique et le développement humain à un niveau plus granulaire.
Par exemple, au Maroc, la moyenne nationale de la croissance du PIB par habitant entre 2000 et 2019 était d’environ 3 %, mais elle varie selon les microrégions entre 0 et 5 %. Des localités du nord – comme Tanger et Tétouan– ont eu des taux de croissance annuels de quatre à cinq pour cent, tandis que d’autres régions ont connu une croissance du PIB par habitant beaucoup plus faible.
Alors qu’aucune microrégion au Maroc n’a vu son espérance de vie diminuer au cours de cette période – avec une augmentation moyenne de huit années supplémentaires au niveau national -, le plus grand changement dans l’allongement de la durée de vie semble être le plus élevé dans les régions du centre et de l’est, à plus de 10 ans, et le plus bas le long de la côte atlantique, autour de 6 ans à certains endroits. Les zones côtières avaient une espérance de vie plus élevée en 2000, les territoires intérieurs ont réduit l’écart.
Orientation plus précise pour des solutions plus pointues
Deux implications au moins ressortent de ce type d’analyses plus granulaire. Premièrement, les constats trop optimistes ou trop critiques basés sur des moyennes ne sont pas toujours utiles. Les analyses plus ciblées, elles, peuvent mitiger les conclusions.
Deuxièmement, pour continuer à favoriser un développement positif, une perspective plus granulaire au niveau du territoire pourrait mieux éclairer les décisions politiques et d’investissement à l’échelle nationale.
Alors que les économistes s’accordent à dire que l’économie marocaine a réussi à réaliser une bonne reprise suite à la pandémie du Covid-19, avec la majorité des emplois retrouvés, le pays – comme le reste du monde dans le contexte actuel-est toujours soumis à des challenges économiques et sociaux dans un environnement caractérisé par une «polycrise», de la guerre en Ukraine à l’accélération des périodes de sécheresse. Comprendre comment le développement s’est déroulé sur le terrain au cours des 20 dernières années peut nous aider à tirer des leçons au niveau granulaire tout en veillant à ce que les ressources limitées de l’état soient déployées là où elles sont le plus nécessaires.
La recherche MGI suggère que dans notre réalité actuelle, une approche unique n’est plus adaptée, alors qu’une compréhension nuancée des différences entre les microrégions pourrait aider à créer des interventions plus ciblées et ayant plus d’impact. Il est important – tant pour le pays, ses citoyens que pour le continent africain dans son ensemble – que le Maroc poursuive l’élan qu’il a engagé depuis 2000 et reste sur la voie d’un développement accéléré, inclusif et durable.