Idées
Réforme de la justice, le serpent de mer
Sachant que la plupart des textes en vigueur aujourd’hui remontent au Protectorat, il serait plus que temps de les revoir. A titre d’exemple, et malgré quelques aménagements ponctuels, le dahir sur la conservation foncière date de 1913, le code de procédure civile remonte à 1958, et celui de la procédure pénale à 1974. Plus ennuyant encore, le dahir régissant les baux commerciaux n’a pas vraiment changé depuis 1955, ce qui pose d’incommensurables problèmes aux professionnels du droit.

Il est donc question depuis quelques mois déjà de la réforme de la justice, mais ce chantier est tellement vaste que nul ne sait par où l’aborder. C’est un peu comme l’Arlésienne, que personne n’a jamais vue, ou encore le serpent de mer, dont on se demande s’il existe ou pas. Par quoi commencer ? Peut-être un toilettage des mesures législatives, ou une remise à jour des textes de loi. Sachant que la plupart des textes en vigueur aujourd’hui remontent au Protectorat, il serait plus que temps de les revoir. A titre d’exemple, et malgré quelques aménagements ponctuels, le dahir sur la conservation foncière date de 1913 (et aussi 1915), le code de procédure civile remonte à 1958, et celui de la procédure pénale à 1974. Plus ennuyant encore, le dahir régissant les baux commerciaux n’a pas vraiment changé depuis… 1955, ce qui pose d’incommensurables problèmes aux professionnels du droit. En effet, les conditions ont changé, les mentalités ont évolué, et le parc locatif a pratiquement été multiplié par dix. Malgré cela, on trouve encore régulièrement et quotidiennement des magistrats rejetant froidement des demandes d’expulsion de locaux commerciaux, malgré des situations franchement abusives. Ainsi, voici un local commercial abandonné depuis des lustres par le locataire ; les loyers ne sont plus payés, l’endroit menace ruine, il est inutilisé. Un constat d’huissier (comportant des photographies confirmant l’état déplorable du magasin) confirme que, d’après les voisins, ce local est fermé depuis plus de huit ans.
Une mise en demeure adressée au locataire indélicat retourne avec la mention : «M. X…introuvable, et local fermé». Mais le magistrat en charge du dossier est imperturbable: local commercial, relevant du dahir de 1955 (nous sommes pourtant en 2014), il convient de suivre la procédure édictée par ce texte. Oui, votre honneur, mais cette procédure exige, avant toute expulsion de contacter le locataire…lequel s’est volatilisé dans la nature. Ah, oui, certes, j’entends bien, mais c’est la loi, et donc demande d’expulsion rejetée ! (Des dizaines de locaux commerciaux sont ainsi gelés depuis des années au grand dam des propriétaires, qui n’en peuvent plus mais !) Corollaire direct: des centaines de locaux sont fermés et inutilisés. Leurs propriétaires préférant cette solution à celle de la location, partant du postulat suivant: mieux vaut un local fermé et inexploité dont je détiens les clés qu’un local loué, abandonné, dont personne ne tire profit ! Et la justice alors ? Aux abonnés absents.
Même chose pour les locaux à usage d’habitation, régis eux par un dahir de 1980. Les problèmes sont les mêmes: loyers impayés, appartements fermés, abandonnés, mais la procédure est tellement lourde que les résultats sont peu probants. Encore une fois : et la justice ? Pas concernée, la loi c’est la loi, et l’expulsion quasi systématiquement refusée, car les magistrats ont des consignes : on ne met pas une famille à la rue pour cause de loyers impayés, cela crée des tensions sociales, peut mettre un quartier en ébullition et provoquer des incidents graves. (Sans compter que, dans la tête d’un magistrat, un propriétaire foncier est quelqu’un de nanti, il peut bien faire des efforts !) Raisonnement totalement déplacé, car sans entrer dans ces considérations, le droit de propriété est sacré, et les juges ont le devoir de le faire respecter, sinon, c’est la déroute totale du système légal.
Dans un autre domaine, l’exemple du code de la route est édifiant. Modernisé, il avait introduit, entre autres nouveautés, le fameux permis à points, et devait servir, essentiellement à réduire l’hécatombe permanente sur nos routes. Las ! Le texte est bien là, conçu et préparé par l’ex-ministre, Karim Ghellab, et parfaitement facile à appliquer. Sauf que rien n’a suivi derrière : ni la formation des agents de l’ordre, ni leur équipement en matériels adéquats, et surtout une absence totale de campagnes de sensibilisation des usagers-conducteurs. Le résultat est clair : pas de résultat du tout, et des drames continuent de se dérouler sur les routes.
Il conviendrait donc, plutôt que d’annoncer mille réformes de la justice, s’atteler à résoudre des problèmes ponctuels, se donner un certain temps d’observation, quantifier les effets obtenus…avant de passer à la prochaine réforme !
