Idées
Rééquilibrage des pouvoirs dans le monde judiciaire
les procureurs et substituts acquièrent plus d’indépendance qu’ils n’en avaient auparavant : fini les instructions de la chancellerie, les consignes viendront du président, qui aura la latitude d’exercer le pouvoir judiciaire en totale indépendance.

Le Maroc est en train de solder définitivement une partie de son histoire, et entame résolument, sous la direction d’un Souverain fin juriste, un (ré)aménagement de son système judiciaire. En effet, parmi les nouveautés relevées dans le chantier de la réforme de la Justice, figure l’indépendance du parquet, désormais dirigé non plus par le ministre de la justice, ou ses services, mais par un président du parquet général (PPG). Si pour les non-initiés il ne s’agit là que d’une péripétie administrative, les connaisseurs et professionnels du droit saluent la pertinence d’une décision politiquement forte et juridiquement très intéressante. En effet, dans la plupart des Etats, le parquet est le bras armé de l’Etat, celui qui tient le glaive dans les estampes, aussi bien de la répression, que celui qui arme les forces de l’ordre. Il a rang d’officier supérieur de la police, et commande donc de fait à la majorité des fonctionnaires de police. Son rôle était de mettre «en musique», les politiques pénales du Royaume, décidées en Conseil des ministres, et ce, par le contrôle absolu des représentants du parquet à travers le territoire national. Ces derniers, à leur tour, et dans les régions les plus reculées, traduisant dans les faits cette politique pénale.
Beaucoup de choses ont été dites et redites, concernant les pouvoirs de ces procureurs…de fait assez exorbitants. A titre anecdotique, un simple substitut du procureur du Roi dans une lointaine contrée se comportait comme, disons, le vrai patron du secteur. Nonobstant toutes formes de hiérarchie, il était plus important que le gouverneur du coin, il avait la haute main sur les policiers, certes, mais cette région étant située aux confins du pays, il avait également l’ascendance sur les gendarmes, et, même plus, l’officier supérieur commandant la garnison militaire de la province, lui reconnaissait une autorité, et lui manifestait beaucoup plus de respect qu’il n’en aurait dû ! Epoque révolue, avec donc les nouvelles orientations de la politique pénale adoptée. Dorénavant les hauts fonctionnaires du parquet, (procureurs généraux, procureurs, substituts) seront sous la férule du président du parquet général, un homme à qui on ne la fait pas, rompu aux arcanes de la justice, et maîtrisant parfaitement les différents rouages du système. Bonne chose donc, car on pourrait dire que le pouvoir central recadre ses effectifs.
Dans le vaste chantier qu’est la consolidation de la justice, avec ses différents aspects, cette décision est en tout cas applaudie par les citoyens, tout en étant encouragée par les différents organismes en charge de la défense des droits de l’homme. Que donnera cette décision dans les faits ? D’abord, elle permet de rééquilibrer les forces dans les affaires pénales, entre les défenseurs (avocats) et les accusateurs. Jadis, on sentait bien, dans les affaires criminelles, et les procès qui s’ensuivaient, une connivence certaine entre les magistrats du siège (ceux chargés de juger), et les représentants de la magistrature debout, (ceux chargés de soutenir l’accusation et de requérir des peines). En face, la défense ne faisait pas le poids, fût-elle menée par un ténor du barreau. Ce déséquilibre vient d’être rompu, avec donc la désignation du président du parquet général. Dans les faits, les procureurs et substituts acquièrent plus d’indépendance qu’ils n’en avaient auparavant : fini les instructions de la chancellerie, les consignes viendront du président, qui aura la latitude (enfin) d’exercer le pouvoir judiciaire en totale indépendance. Les réquisitions répondront aux directives du PPG, agissant en son âme et conscience, dans la ligne de conduite voulue par le gouvernement. Au parquet de décider quelles suites donner à tel ou tel dossier, en fonction des impératifs sécuritaires du moment, ou des orientations souhaitées par le gouvernement. Paradoxalement, aussi, il faut le souligner, le fait pour le parquet d’accéder à l’indépendance par rapport au ministère de la justice, posera également quelques petits problèmes d’adaptation, car jusqu’à présent, les parquetiers ne fonctionnaient que «d’après les instructions», qui pouvaient émaner d’un président de tribunal, d’un supérieur hiérarchique, voire de services centraux de la chancellerie. Cela se faisait automatiquement, et nombre d’audiences de présentation se soldaient par : «Attendez quelques instants, Maître, je monte voir Monsieur le procureur, pour instructions». Aujourd’hui, plus besoin de monter voir quiconque, la hiérarchie du parquet général transmettra directement à ses affidés, les consignes générales… (Ce qui, accessoirement, permettra de voir l’émergence d’un nouveau type de magistrats, privilégiant, selon les nouvelles directives, la sensibilité, l’humanisme et la compréhension des citoyens). Le monde judiciaire attend donc avec optimisme les nouvelles orientations qu’insufflera M. Abdennabaoui à la politique pénale du Royaume, visant à l’ancrer définitivement dans le concert des Etats de droit
