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Idées

Quand les juges n’en font qu’à leur tête

D’abord il faut remarquer que l’indépendance de la justice ne dépend pas du bon vouloir des juges, mais de la politique appliquée par le gouvernement, et décidée par le Parlement.

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chronique Fadel Boucetta

La presse nationale s’est récemment fait l’écho de la vague de protestation entamée par les magistrats marocains : On y lit que les «magistrats sont déterminés à aller jusqu’au bout de leur combat pour l’indépendance de la justice» et «la protestation ne faiblit pas malgré l’adoption de deux projets de loi relatives (sic) à la justice» (faute d’orthographe comprise !), ce qui ne manque pas de surprendre venant de cette catégorie professionnelle. Essayons donc d’y voir plus clair. D’abord il faut remarquer que l’indépendance de la justice ne dépend pas du bon vouloir des juges, mais de la politique appliquée par le gouvernement, et décidée par le Parlement. Cette même indépendance est garantie par la Constitution, qui organise ainsi la séparation des pouvoirs.

Ensuite, comment peut se manifester le «combat» des magistrats, alors qu’ils sont soumis statutairement à une stricte obligation de réserve ? Un juge doit être «un taiseux», pas quelqu’un qui s’épanche et dévoile ses états d’âme : les justiciables ne le comprendraient pas, eux qui, justement ont toujours placé les membres de la magistrature sur une espèce de piédestal. Et c’est pour cette raison précise que ce corps de hauts fonctionnaires n’a, par exemple, pas le droit de faire grève. En effet, un Service public comme la Justice, éminemment important dans l’organisation de la vie sociale, ne saurait s’arrêter car les événements en continu de la vie quotidienne ne le permettent pas : vols, crimes, méfaits et délits  en tous genres, ne connaissent pas de calendrier précis, et ne cessent jamais. Il faut donc que la réponse de la société à ces actes délictueux soit permanente. Et c’est pour cela que le législateur a dû prévoir une solution juridique, acceptable par tous.

Que font donc les magistrats quand ils ont des revendications précises et des demandes ciblées concernant leurs conditions de travail, leur rémunération ou leur avancement ? La réponse est simple : ils ne peuvent qu’envoyer leurs demandes au ministère compétent – celui de la justice et des libertés- qui donnera suite ou non à ces revendications. Et diriez-vous, s’ils ne sont pas satisfaits ou s’ils estiment n’avoir pas été suffisamment entendus ? N’importe quel fonctionnaire, salarié, ouvrier ou employé, a le droit de faire grève, c’est-à-dire s’abstenir d’accomplir sa tâche quotidienne, s’il estime que ses droits sont bafoués ou imparfaitement respectés. Tous les fonctionnaires donc, …sauf les magistrats. Un pays où les juges font grève est un pays très mal en point, tellement le système judiciaire est primordial dans tous les Etats, car il est garant du respect de l’ordre public et de la protection des libertés individuelles.

Et donc, malgré de nombreux avantages en tous genres, on apprend que ces Messieurs entendent «aller au bout de leur combat». La population les en remercie et ne peut que saluer un tel acte de bravoure (sic). Car, si on se penche un peu plus sur la question, il s’avère que le véritable but de ces magistrats est tout autre (et en tout cas bien moins noble). En effet, il est question des prérogatives qu’aura le futur Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ). Celui-ci est le seul organisme officiel chargé de représenter cette profession et ses membres.

C’est lui qui peut décider de certaines nominations, proposer des avancements, promotions …ou rétrogradations. Il est formé de magistrats et a pour vocation principale d’être «la police des juges». Car tous les métiers ont leurs brebis galeuses. Or ce qui dérange ces magistrats, c’est que ce conseil peut AUSSI punir les juges et prendre à leur encontre des mesures disciplinaires en cas de «faute grave». Ce qui est intolérable pour des gens plus habitués à envoyer des gens en prison ou faire la morale à des citoyens pris sur le fait qu’à se faire morigéner comme des gamins pris en faute. Et c’est donc à cette simple idée que nos juges «sont décidés à aller jusqu’au bout de leur combat», pour obtenir un amendement de certaines dispositions des projets de loi n° 106/13 et 100/13.

Dossier à suivre, car il est primordial de savoir quelle sera la suite réservée à ces revendications, mais aussi qui sortira vainqueur de ce bras de fer: l’Etat, donc le ministère de la justice…ou les fonctionnaires magistrats qui démontreraient alors leur grande capacité à orienter certaines décisions gouvernementales.