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Idées

Palais de justice

Les tribunaux doivent apaiser les tensions sociales, en rendant des verdicts équilibrés, basés sur des réalités concrètes, mais la tâche n’est pas aisée. Et il en est de même dans tous les palais de justice du monde, où ce rôle d’équilibriste est assuré quotidiennement par des magistrats à qui l’erreur est interdite.

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chronique Fadel Boucetta

Les tribunaux sont aussi nommés palais de justice. Et dans un palais, en principe, tout doit être calme, apaisé et feutré. Le rôle des policiers présents dans les tribunaux est justement de préserver ce calme. Mais souvent, on assiste à de véritables scènes d’émeute dans les cours et travées des tribunaux. Tout le monde n’est pas satisfait car, en général dans un procès, il y a la partie gagnante et celle qui «succombe». Pour cette dernière, tous les arguments sont bons : selon les cas, la partie a été perdue «car le magistrat a favorisé la partie adverse». Argument tout à fait puéril…et pourtant ! À y regarder de plus près, ce cas n’est pas isolé, il se produit même fréquemment. En fait, il n’y a pas connivence du magistrat, mais seulement sa détermination à bien appliquer la loi, et la question se pose quand l’une des deux parties n’est pas conseillée par un avocat. Alors que certains juges laissent filer la procédure sans états d’âme, d’autres au contraire s’émeuvent de la faiblesse de la partie non conseillée, et donc, en bons magistrats soucieux de rétablir les équilibres, prodiguent des conseils à la partie non assistée. Ce qui crée le courroux de ses adversaires, qui comptaient gagner leur cause sans trop de soucis.

Mais les tribunaux sont aussi de grandes cours de récréation pour qui a le regard averti et l’oreille tendue. Ainsi encore pour ce qui est des professionnels du droit comme les avocats. Ces derniers connaissent tous les recoins des tribunaux, les habitudes des fonctionnaires et le caractère de chaque magistrat. Ce qui est bien pratique au moment de plaider une cause. Parfois on se renseigne au greffe au moment d’engager une action en justice : «Les dossiers d’aujourd’hui, à qui seront-ils confiés ?» Et en fonction de la réponse à cette question, certains avocats préféreront différer le dépôt du dossier et de le remettre au lendemain où le magistrat instructeur prévu est connu pour sa bonhomie ou sa mansuétude. Mais les magistrats sont aussi, sous leurs airs austères, de joyeux lurons qui truffent leurs arrêts de considérations plus ou moins acerbes sur certains de leurs propres confrères, notamment, en général, ceux qui leur sont inférieurs en grade.

Ainsi, dans une affaire pénale, la Cour d’appel de Casablanca doit se prononcer sur d’éventuelles indemnisations concernant une victime, et s’offusque de ce que le tribunal de première instance «a rangé à tort certains contrats dans l’action civile, alors qu’il s’agit d’une peine prononcée». Dans un dossier civil, concernant une propriété, ces conseillers, non contents d’annuler le jugement de première instance, relèvent «les digressions» de leur collègue, estimant «qu’il n’était point nécessaire, en l’état de la procédure, d’ordonner telle ou telle vérification supplémentaire, dont il ne résultera aucun élément positif pour la compréhension de l’affaire, mais qui entraînera à coup sûr un rallongement de la durée de la procédure et des frais judiciaires supplémentaires !». Pan sur le bec du petit juge maladroit ! Quelques dossiers plus loin, arrêtons-nous sur une affaire commerciale, où nos valeureux conseillers n’y vont pas de main morte, estimant que le jugement de première instance qui leur est soumis est truffé d’«impropriétés de langage», voire comporte de nombreuses «confusions en matière de droit civil» !

Doit-on déduire que les juges siégeant en première instance sont tous des cancres en matière de droit? Bien sûr que non, et même au contraire, car n’accèdent à la fonction (enviée) de magistrats que les plus brillants étudiants en droit. Seulement, et comme en toutes choses, il y a l’art et la matière. Le droit est une matière complexe, vivante et évolutive. Il s’adapte aux époques, aux mœurs et aux désirs de la société dans laquelle il s’applique. Il est un vecteur d’apaisement social, qui doit garantir à la société le respect des droits de tous, dans la paix et la quiétude. Mais, allez donc parler de sérénité et de calme dans des dossiers de divorce, d’expulsions, de retard d’indemnisation ou tout autre contentieux arrivé devant un tribunal ; vous ne verrez que des parties excitées, tendues, énervées, chacune étant certaine d’avoir le droit pour elle, et convaincue que ses arguments sont imparables. Et une fois le jugement rendu, la déception fait ainsi perdre aux gens toute retenue. Les juges sont ainsi dans l’obligation permanente d’appliquer des textes, tout en tenant compte des réalités sociales. Les tribunaux doivent apaiser les tensions sociales, en rendant des verdicts équilibrés, basés sur des réalités concrètes, mais la tâche n’est pas aisée. Et il en est de même dans tous les palais de justice du monde, où ce rôle d’équilibriste est assuré quotidiennement par des magistrats à qui l’erreur est interdite.