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Idées

On ne badine pas avec la loi !

Une fois la plainte déposée, le dossier atterrit sur le bureau d’un substitut du Procureur, voire du Procureur en personne, si les montants en question sont très élevés ou si l’une des personnes mises en cause se trouve être une personnalité.

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chronique Fadel Boucetta

Les juristes adorent les belles formules, et en utilisent souvent de savoureuses. Prenons, par exemple, ce qui se passe, lorsqu’une procédure pour émission de chèque sans provision est entamée. Une fois la plainte déposée, le dossier atterrit sur le bureau d’un substitut du procureur, voire du procureur en personne, si les montants en cause sont très élevés ou si l’une des personnes mise en cause se trouve être une personnalité. Une fois le dossier étudié, il est transmis à la Police judiciaire aux fins d’enquête. Le citoyen lambda imagine alors nos fins limiers procéder à d’intenses recherches, afin d’appréhender au plus vite le tireur indélicat, et de le présenter à la Justice, non sans l’avoir au préalable invité à régler le montant dû. Que nenni, pourrait-on dire, car une fois le dossier entre les mains de la police, il se retrouve au milieu d’un innombrable tas de dossiers identiques. Curiosité marocaine, beaucoup de gens estiment que cette infraction est bénigne… et ignorent souvent que parfois elle conduit à la case prison.
Donc les plaintes s’accumulent, suivent le même chemin,… pour donc finir dans un commissariat. De temps à autre, l’avocat qui a déposé la plainte vient s’enquérir auprès du parquet de la suite qui a été donnée à sa plainte. Les réponses peuvent être assez variées, variant de «enquête en cours» (parfois plus d’un an) à «adresse inconnue», (avec sa variante, «inconnu en ce lieu»), ou adresse incomplète. Et alors ? Que fait-on en pareil cas ? Que fait la police ? Où en sont les recherches ? La réponse, ici aussi vaut le détour. Car on vous dit que le dossier est bloqué, ainsi que la plainte, en attente… littéralement traduit : «de trébucher sur le tireur». Trébucher signifie que l’on heurte par inattention ou mégarde un obstacle sur son chemin.

Nos valeureux policiers, loin de s’engager dans de coûteuses, longues et laborieuses enquêtes, ont une méthode bien à eux : ils partent du principe que, qui a commis une faute, en commettra une seconde…comme commettre une infraction, et se faire retirer son permis. Qu’il sera bien obligé de venir récupérer un jour ou l’autre.

On notera, en passant, pour être honnête et correct avec nos forces de l’ordre, que, plaisanterie mise à part, on constate une réactivité immédiate, suivie d’une efficacité redoutable, quand il s’agit de mettre hors d’état de nuire des tueurs impitoyables, comme ceux de Marrakech…..

Une autre formule est aussi intéressante, celle de la «Liberté provisoire»… terme pas si anodin que ça. Car nous sommes tous, en permanence, en état de liberté provisoire,… mais nous l’ignorons. On l’apprend fortuitement, lorsque, suite à un banal accident de la circulation, le permis est confisqué par la police, puis transmis au parquet. Le citoyen concerné se présente donc au tribunal pénal d’Ain-Sebâa, dont déjà la dénomination n’évoque rien de joyeux. Il attend son tour, dans une espèce de salle de triage, où les substituts examinent, à la suite et très rapidement, la montagne de dossiers qui leur est soumise. Notre citoyen s’impatiente, constate qu’il est là depuis près de deux heures, et que nul ne l’a encore appelé. Il se dit qu’il repassera un autre jour, ou qu’il enverra son coursier ou chauffeur effectuer les démarches. (Ce qui est une mauvaise idée, les substituts aimant bien avoir l’intéressé en face d’eux, afin de le jauger, et d’évaluer son cas avant de prendre une décision). Sauf que le policier de faction l’en empêche, arguant du fait que, selon les consignes, une fois que l’on pénètre dans cette salle… on est virtuellement en garde à vue, voire… en détention provisoire ! Et tant qu’il n’a pas d’autres instructions, il ne laissera personne quitter la salle. Procédure totalement illégale, mais aussi inappropriée, vu l’importance minime de l’infraction commise. Mais qui serait assez fou, ou alors suicidaire, pour dire à un procureur qu’il ne respecte pas la loi. Pourtant, obliger une personne à obéir à un ordre, alors qu’elle n’est ni inculpée, ni poursuivie, et, pire, porter atteinte à sa liberté d’aller et de venir, garantie par la Constitution, peut également être qualifiée par nos amis juristes de «séquestration volontaire, par personne dépositaire de l’autorité publique»…. Petite entorse à la loi, qui vaudrait quand même à son auteur une peine de prison pouvant dépasser les vingt ans de réclusion criminelle…. On ne badine pas avec la loi !