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Idées

Magistrat, mais aussi père de famille !

Des applaudissements éclatèrent alors dans la salle d’audience, les personnes présentes, avocats, policiers, citoyens en attente d’un procès ou encore fonctionnaires, voulaient ainsi saluer la décision du président d’audience, qui prouvait qu’un magistrat peut avoir une fibre humaine.

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Parfois, on se retrouve dans des situations pour le moins inattendues, et l’on ne sait plus quelle attitude adopter. C’est donc l’histoire d’un paisible monsieur dont la femme attend leur premier enfant. La grossesse s’est bien déroulée et l’accouchement est proche. Le futur père est inquiet, la future maman est stressée: c’est normal pour un premier enfant. Arrive le grand jour. La dame alerte son mari que les signes annonciateurs sont là, et qu’il convient de se rendre sans tarder à la clinique. Aussitôt dit, aussitôt fait, et voilà le couple embarqué dans la voiture. Mais la circulation est intense, les embouteillages nombreux et le mari commence à paniquer. A ses côtés, son épouse est prise de malaises, vertiges, et lui assure l’imminence de l’accouchement. Arrivé à une intersection, le mari remarque bien le panneau «Stop», marque un léger arrêt, et redémarre, pour voir illico un agent de la circulation surgir du néant lui intimant l’ordre de s’arrêter. Notre homme obtempère et descend immédiatement de son véhicule pour expliquer la situation au policier. Et d’abord lui dit-il, j’ai bien marqué un petit arrêt, le panneau disant «Stop», et non «il faut y passer la nuit !»
Celui-ci comprend bien. Mais voilà, «la loi c’est la loi». Tout en admettant l’urgence, le règlement prévoit le retrait du permis, le paiement d’une amende et une convocation devant le tribunal de police. L’agent délivre donc un récépissé au mari, garde le permis de conduire, et autorise enfin le couple à repartir vers sa destination initiale.

Tout se déroule à merveille, le nourrisson se porte bien, et les parents sont soulagés.
Six mois plus tard, on retrouve le mari devant le magistrat ayant à traiter les affaires d’infractions relatives au code de la route. Entre-temps, le nouveau code est entré en vigueur, et ses dispositions sont assez sévères, notamment pour certaines infractions, comme le non-respect d’un stop. Le procureur n’est pas enclin à la bienveillance : son bureau est encombré de dizaines de dossiers où les contrevenants semblent considérer le code de la route comme une loi non contraignante, puisque laissée à la libre interprétation de chacun. Il en a vu, lui, des dossiers où des gens sont morts parce que d’autres ont «brûlé» un stop… Alors il écoute d’une oreille distraite les explications du contrevenant, avant de prononcer un sévère réquisitoire, dans lequel il réclamera la condamnation à une amende salée, le retrait de six points du permis de conduire, et enfin, cerise sur le gâteau, la suspension du permis pour six mois !
Le contrevenant est abasourdi, il n’en croit pas ses oreilles. Il n’est pas le seul : dans la salle d’audience, d’autres conducteurs sont stupéfaits, et même les avocats, pourtant blasés sont étonnés. Le dossier est donc mis en délibéré, et le jugement renvoyé à quinzaine. Arrive le jour du jugement. Le contrevenant est présent avec son avocat, et tous deux écoutent celui-ci égrener les condamnations. Il n’est question que de points retirés, que de mois de prison avec sursis, et que d’amendes fort élevées.
Arrive le dossier qui nous intéresse. Le magistrat demande au contrevenant de s’approcher, et de décliner son identité, puis se penchant sur le dossier, il constate que «dans cette affaire, il semblerait qu’il n’y a point eu d’accident, donc ni dégâts matériels causés à autrui, ni dommages subis par des tiers. C’est déjà une bonne chose». Puis, il explique qu’il est d’accord avec la mentalité répressive du procureur, car selon lui, et d’après son expérience en matière humaine, pour asseoir le nouveau code de la route et donc obliger les citoyens à changer de mentalités, il fallait instaurer «la peur du gendarme», ce qui sauverait un grand nombre de vies. Et dans le cas qui nous intéresse, il apparaît que deux versions s’opposent : celle du policier (assermenté) affirmant que la voiture n’a pas marqué d’arrêt au stop ; et celle du conducteur, affirmant le contraire et expliquant la situation d’urgence qui prévalait. Le magistrat ne voulait pas ouvertement réfuter la thèse du policier, mais admettait que le cas était spécial, et qu’il convenait de lui administrer un traitement spécial.

La naissance s’est bien déroulée, au moins ?, demanda-t-il au nouveau père. Alors le tribunal, en application de la loi, vous condamne à une amende de 500 DH, au retrait de trois points de votre permis et à une suspension temporaire d’un mois. Puis il ajoutera : «Le Tribunal ayant également une vocation sociale, décide, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, la suspension totale des peines annoncées, et considère cela comme un cadeau de la Cour au nouveau-né». Des applaudissements éclatèrent alors dans la salle d’audience, les personnes présentes, avocats, policiers, citoyens en attente d’un procès, ou encore fonctionnaires, voulaient ainsi saluer la décision du président d’audience, qui prouvait, une fois encore qu’un magistrat peut avoir une fibre humaine.