Idées
Les Marocains, la loi et la justice
Que constatons-nous depuis des lustres ? Que le citoyen marocain est réfractaire à la loi, qu’il s’accommode assez mal de sa présence et qu’il a plutôt tendance à la considérer comme une nuisance, l’empêchant, lui, citoyen adulte, majeur et vacciné, de se comporter à sa guise. Cette conception assez particulière a, tout récemment encore, été mise à l’honneur, lors des travaux de réalisation du tramway de Rabat.

Le nouveau code de la route est entré en application depuis début octobre, et tout le monde espère qu’il contribuera à la réduction de l’hécatombe sur nos routes.
Auparavant et dans un autre domaine, le législateur avait adopté plusieurs textes de loi, visant à sécuriser les paiements par chèques, en adoptant des mesures de plus en plus sévères à l’encontre des tireurs de chèques sans provision.
Enfin, en 1991, soucieux de la santé de ses citoyens, le gouvernement lançait des campagnes de prévention, puis d’interdiction du tabagisme du moins dans les endroits publics.
Or, que constatons-nous depuis des lustres ? Que le citoyen marocain est réfractaire à la loi, qu’il s’accommode assez mal de sa présence et qu’il a plutôt tendance à la considérer comme une nuisance, l’empêchant, lui, citoyen adulte, majeur et vacciné, de se comporter à sa guise. Cette conception assez particulière a, tout récemment encore, été mise à l’honneur, lors des travaux de réalisation du tramway de Rabat.
Les promoteurs du projet, enthousiastes au début, commencent à perdre patience et s’épanchent dans les médias. Leur problème est simple: ce sont les stationnements anarchiques sur les tronçons de voie ferrée. Un reportage télévisé montrait récemment des véhicules garés n’importe comment, en travers des voies, en épi, à cheval sur une voie ou chevauchant les deux voies; des conducteurs déclaraient ingénument : «C’est l’enfer pour stationner en ville avec tous les travaux en cours ; heureusement, là (sur la voie), on trouve encore des places libres». D’autres répondent avec suffisance : «Je n’en ai que pour quelques minutes…». Et le tramway, pendant ces quelques minutes (à la marocaine, ça peut devenir trois heures !), il fait quoi avec ses centaines de passagers ? Il poireaute ?
Ceci démontre que le citoyen marocain a toujours tendance à considérer son intérêt personnel comme prioritaire sur tout le reste.
Ainsi du nouveau code de la route. A écouter les communiqués quotidiens de la gendarmerie royale diffusés lors du journal télévisé du soir, nous en sommes encore à une moyenne de dix morts par jour. Par ailleurs, une simple promenade en ville (dans toutes les villes) démontre que les comportements n’ont guère évolué, permis à points ou pas : autant d’embouteillages inextricables, toujours une pagaille dans le stationnement, le même mépris pour les règles élémentaires (comme respecter les stop ou ne pas dépasser par la droite). Bref, le conducteur marocain aura du mal à s’adapter à ce nouvel environnement.
La question se pose avec acuité, mais les plus optimistes rétorqueront qu’il faut un certain temps d’adaptation, avant que l’on ne constate une amélioration quelconque.
L’auteur de ces lignes en convient volontiers, mais il ne peut s’empêcher de remarquer que l’on avait déjà dit ça lors de l’adoption du dahir de mai 1955, censé réglementer les baux commerciaux. Or, depuis cette date, les mentalités et les comportements ont certes évolué, mais dans le mauvais sens, dans la mesure où nos concitoyens ont vite appris à contourner la loi, en repérant les failles du dispositif juridique. De fait, les juridictions actuelles croulent sous le nombre de dossiers concernant des baux commerciaux, qui somnolent en attendant une hypothétique solution. Car la loi aurait dû être modifiée depuis longtemps, empêchant certains citoyens retors d’user d’artifices légaux pour contourner la justice.
Il en est de même pour l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Certes, une amende est bien prévue par la loi, mais qui s’en soucie ? Encore une fois, le détour par certaines administrations prouve que la loi n’est pas appliquée. On fume encore dans certains couloirs des hôpitaux, dans l’enceinte des tribunaux ou celle des gares. Là encore, un écriteau est bien là pour rappeler à tous l’existence d’une certaine loi n° 91-15. Sans plus.
Et la Justice dans tout ça ? Dans son dernier discours d’ouverture de la session parlementaire, le Souverain rappelait son attachement à une justice forte, indépendante et proche des citoyens, dont le but réel serait d’aider le Marocain à résoudre les problèmes quotidiens. La cause est noble et l’intention louable.
Car aujourd’hui, faute d’un appareil judiciaire puissant et rigoureux, les affaires traînent en longueur : ça laisse toujours le temps aux justiciables mal intentionnés de préparer leurs arrières, ce qui donne d’innombrables dossiers en instance, d’interminables procès, des exécutions judiciaires aléatoires, réduisant à néant les croyances des honnêtes gens qui croyaient en la Justice ! Et pendant ce temps, certains escrocs patentés mènent la belle vie en toute quiétude, affirmant avec ironie : «L’affaire est devant la Justice : on a donc le temps d’aviser !»
Vivement donc la réforme attendue et souhaitée par tous, afin de rendre enfin leur crédibilité aux lois, et habituer les citoyens marocains à les respecter scrupuleusement dans un souci collectif de l’intérêt général.
