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Idées

Les avocats face à la charge de la preuve

le document sur lequel s’appuie l’accusation est le PV rédigé par les policiers. Et il est réputé intouchable…sauf à convaincre la Cour que c’est un faux. Donc, si sur le PV il est mentionné par les enquêteurs que, par exemple, tel vol a probablement été commis par le sieurX., la cause est entendue, l’individu sera condamné.

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chronique Fadel Boucetta

Ces dernières semaines, de grands procès font l’actualité, tant en France qu’au Maroc. Lors des audiences, dans l’enceinte du tribunal pénal d’Ain-Sebaâ, des échanges «musclés» ont souvent lieu entre les différents protagonistes, arbitrés avec plus ou moins de réussite par le président, qui pourtant est un expert reconnu des dossiers d’Assises (notons en passant que la terminologie «Assise» est utilisée pour faciliter la compréhension des procédures suivies, bien que ce terme n’existe pas dans le Code marocain de procédure pénale, où l’on parle de Chambre criminelle).

Lors des procès, les rôles sont bien définis, et les parties identifiées : d’un côté les prévenus (ou accusés) toujours présumés innocents, de l’autre les victimes, qui vont très vite muer en parties civiles. Ces dernières ainsi transformées pourront alors demander réparation des préjudices qu’elles ont subis, appuyées (in fine) par les réquisitions du parquet général, défenseur des droits de la société, et grand pourfendeur des personnes présentes dans le box des accusés. Apparaissent aussi certains «ténors» du barreau, avocats spécialisés en droit pénal, maîtrisant les articles de la loi, mais aussi les détails de la procédure, tout en connaissant le rituel présidant au déroulement de l’audience. Les détails ont leur importance, et les observateurs qui se rendent au palais de justice s’en rendent vite compte. Il y a d’abord le décorum ; les salles d’audience sont vastes, bien éclairées et surtout bien aérées. Il le faut, considérant le nombre important de personnes qui vont prendre place dans la salle : outre les magistrats, le (ou les) prévenu (s), les policiers de l’escorte, les avocats, il y a également une certaine quantité de «spectateurs», qu’on nomme «le public». Sa présence est le garant d’un bon procès, sans excès, ni dérapages.
Ensuite, il y a l’agencement des lieux : le président et ses assesseurs siègent en hauteur, histoire de bien marquer la prééminence de la justice en ces lieux…et au même niveau que le parquet, histoire, cette fois, de souligner la connivence qui peut exister entre la présidence et le procureur, finalement fonctionnaires au sein du même ministère, face à l’«ennemi abhorré», représenté par les avocats de la défense. Ces derniers sont toujours confrontés au même problème devant le tribunal pénal, à savoir la charge de la preuve…et c’est là un point sur lequel notre législation devrait sérieusement se pencher. En effet, le document sur lequel s’appuie l’accusation est le PV rédigé par les policiers. Et il est réputé intouchable…sauf à convaincre la Cour que c’est un faux. Donc, si sur le PV il est mentionné par les enquêteurs que, par exemple, tel vol a probablement été commis par le sieur X., la cause est entendue, l’individu sera condamné. Alors qu’en principe, au terme de la loi, les magistrats doivent se forger une intime conviction de culpabilité ou d’innocence, seulement d’après ce qu’ils auront entendu et vérifié en audience plénière, dans une séance contradictoire, où l’accusation et la défense auront fait valoir leurs arguments. Mais cela prend du temps, et les juges sont en général pressés d’en finir, car ils ont une volumineuse pile de dossiers à traiter.

Et pour prouver qu’un PV de police est un faux, ou contient des indications incomplètes ou erronées…il faut se lever de bonne heure. Car on voit mal un avocat brandir un document où il est écrit : «Je soussigné commissaire Y. certifie que le PV, rédigé par mon collègue (et ami) le commissaire Z., est un faux grossier !». Et il se trouvera toujours un juge pour avancer l’argument imparable : «Mais, voyons, pourquoi le fonctionnaire de police irait-il gratuitement accuser un individu de faits ou d’autres ?».
Souhaitons donc que certaines pratiques discutables (mais non illégales, précisons-le) évoluent au sein du tribunal pénal, ce qui ne fera que renforcer une saine administration de la justice.