Idées
Le tribunal et les vacances
La Vie éco reprend donc son envol en espérant que ses fidèles lecteurs ont bien pris quelque repos estival bien mérité. Et en cette rentrée, c’est l’occasion aussi d’espérer que certaines pratiques courantes dans nos tribunaux vont connaître quelques changements.

D’ailleurs dans les palais de justice, il est un service qui ne s’arrête jamais. Qu’il vente ou qu’il pleuve, qu’il fasse chaud ou froid, en hiver comme été, le monde des flagrants délits, des comparutions immédiates ou des présentations au parquet ne connaît point de répit… Au contraire, même. En effet, ce service traite des affaires pénales courantes, et le moins que l’on puisse constater est qu’il ne chôme absolument pas. L’été, traditionnelle saison de repos, farniente, synonyme de vacances pour la majorité des citoyens, est aussi la haute saison pour les malfrats en tous genres. Les agressions se multiplient, les vols à l’arraché s’envolent et les malfrats ne chôment pas. Les gens sont en vacances, et leur vigilance habituelle s’émousse : on laisse trainer des sacs dans les voitures quand on va à la plage, les gens se promènent en tenue d’été, mais sans oublier de garder de l’argent sur soi, les femmes laissent leurs sacs sur la plage en allant se baigner, et ce sont autant d’occasions qui font le bonheur des voleurs en tous genres. Heureusement, les forces de l’ordre tous services confondus, sont aussi en état d’alerte maximum, et chaque jour qui passe voit les fourgonnettes de la Sûreté nationale déverser leur flot quotidien de délinquants en tous genres. Le rituel est en général le même, tous les matins de la semaine. Au Tribunal pénal d’Ain Sebaâ, le flux quotidien ne tarit jamais, et donc, le parquet tourne à plein régime. Il s’agit de la séance dite de présentation, durant laquelle les individus appréhendés la veille vont comparaître devant un substitut du procureur qui va décider de leur sort. C’est le monde du pénal avec ses règles, coutumes et habitudes…et certaines de ces dernières ont la vie dure. Prenons par exemple un cas banal, celui d’un quidam à qui l’on reproche une agression sur la voie publique. En fait, il ne s’agit que d’une broutille, pas de quoi pendre un homme, mais c’est quand même un délit que de subtiliser une caméra vidéo dans une voiture malencontreusement laissée ouverte. Le mis en cause est un jeune homme, par ailleurs correct sous tous les aspects, mais qui n’a pu résister à la tentation. Manque de chance pour lui, des policiers en civil qui passaient par là ont vu toute la scène, et l’ont immédiatement arrêté. Après 24 heures de garde à vue, le voilà devant un substitut qui va décider de son sort: incarcération immédiate ou liberté provisoire en attendant le procès. En ces mois d’été et de forte canicule, les substituts de service (qui travaillent, il faut le reconnaître, dans des conditions difficiles, dans des locaux exigus, souvent non climatisés, situés dans des sous-sols qui empestent le carburant), ne sont en général pas de très bonne humeur, ni enclins à la mansuétude. Or c’est à ce moment précis que tout se joue, et dans ce monde, il existe des règles non écrites que seuls les avocats pénalistes connaissent parfaitement. Le substitut doit donc prendre une décision, mais il n’a que quelques minutes pour, dans l’ordre : lire le dossier que la Police judiciaire lui présente, décider de la qualification à donner aux faits reprochés aux prévenus, en fonction des articles du Code pénal, et surtout, ordonner l’incarcération ou la poursuite en état de liberté provisoire. Quand c’est cette dernière option qui est retenue, il peut la conditionner au versement d’une caution, dont le montant est variable en fonction des faits délictueux. Problème : souvent, en période de vacances, le tribunal fonctionne avec des effectifs réduits, surtout au niveau du service qui encaisse les sommes d’argent, et, là, quand on verse un montant donné… on ne voit venir aucun reçu, contrepartie de ce que l’on a payé ! Entendons nous bien: il n’y a rien de malhonnête, puisque l’intégralité des sommes versées figurent bien dans le dossier en question, et finissent bien dans les caisses de l’Etat. Mais pour le justiciable c’est une autre paire de manches, car lui a besoin, pour des raisons diverses, d’un reçu correspondant à ce qu’il a versé. Et donc, il le réclame. Mais on lui répond que, pour l’heure, le caissier est en vacances, et que pour le reçu il faudra repasser. Parfois le ton monte entre les fonctionnaires (excédés d’être considérés comme des ripoux) et le citoyen lambda (qui lui aussi est en droit de réclamer son reçu). Dans notre cas le substitut décide donc de libérer le jeune homme, et fixe sa caution à 500DH, que l’intéressé règle immédiatement par l’intermédiaire de son avocat… qui connaît la musique, et qui explique à son client que le reçu viendra plus tard, et qu’il n’a qu’à venir le récupérer ultérieurement. Mais peu de personnes reviennent au tribunal pénal de leur plein gré plus tard….et, de fil en aiguille, puisque l’argent liquide ne peut rester dans le dossier, il atterrit dans un compte spécial en attendant…Godot ! Et c’est ainsi que d’importantes sommes d’argent se promènent entres différents services, ce qui est inopportun. Il conviendrait donc de repenser ce système des cautions et d’établir des règles précises, ce qui éviterait le flou artistique qui règne dans ce domaine !
