Idées
Le perpétuel exercice d’équilibre des présidents de Cour d’assises
Les présidents de Cour d’assises, en général, ont horreur des renvois et des dossiers qui traînent en longueur. Leur credo est d’être expéditif, car des dossiers nouveaux arrivant tous les jours, on ne saurait encombrer les tribunaux d’affaires anciennes, toujours en attente depuis des mois, alors que le flux d’arrivées ne tarit jamais !

Et nous restons avec les Cours d’assises, puisque l’actualité nous y invite. Dans un procès criminel, les avocats de la défense jouent donc un rôle central, car ils participent à équilibrer les débats entre les parties opposées. Mais on vient de le voir récemment, ces avocats peuvent décider, à un moment ou à un autre, de se retirer, et ce pour différentes raisons. Parmi celles-ci, par exemple, le fait pour la Cour de sembler plus ou moins partiale. En effet, il arrive que les avocats du prévenu demandent au tribunal des mesures annexes, susceptibles d’après eux d’apporter un éclairage nouveau au procès en cours. Cela peut être une demande d’expertise sur des pièces à conviction, ou la convocation de nouveaux témoins, voire la projection de vidéos d’enregistrement, ayant un rapport avec l’affaire en cours. Le tribunal est toujours souverain dans ses décisions, et, pour toute décision rendue, il existe des voies de recours. Elles sont souvent longues et fastidieuses, mais rien n’interdit d’y avoir recours.
Certains avocats, spécialistes en matière de procédure pénale, se sont même fait une spécialité de faire ainsi feu de tout bois, réclament à tour de bras, expertises, contre-expertise, déplacements sur les lieux du crime, etc., le tribunal y donne suite, ou non, en fonction de la lecture que lui-même fait du dossier. Et c’est ainsi que naissent les désaccords profonds durant l’audience, entre les juges, les procureurs et les avocats. Ces derniers paraissent alors bien démunis, alors il leur reste une arme, celle de se retirer du procès. Décision anodine, pensent, alors, la plupart des observateurs, sauf qu’ils se trompent lourdement. Donc, les avocats décident de se retirer du procès pour dénoncer, par exemple, une dérive, estimant alors que l’on s’éloigne du débat du fond, pour s’enliser dans des arcanes de procédure.
Dès lors, le bel ordonnancement du procès criminel va connaître de sérieux chamboulements. En effet, en l’absence d’avocats, point de procès criminel, car la loi impose la présence des hommes en noir dans toutes les affaires où la peine d’emprisonnement encourue dépasse les dix années de réclusion. Mais que faire si aucun avocat ne se constitue pour la défense des accusés ou (et c’est notre cas) si les avocats en charge du dossier se retirent, c’est-à-dire se désistent de la défense des accusés? La procédure prévoit bien sûr ces cas, et stipule qu’il appartient alors au président de désigner des avocats commis d’office, chargés de prendre la relève de leurs confrères. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire, car la procédure est complexe. Le président avise le bâtonnier, pour l’informer de la situation, lui demandant de désigner des avocats pour assister le prévenu.
Une fois ceux-ci désignés, c’est le prévenu (ou accusé) qui se rebiffe: non, il n’est pas d’accord avec le choix du bâtonnier, et refuse d’être défendu par tel ou tel avocat. Du coup, le procès s’arrête, les audiences sont suspendues, et renvoyées à une date ultérieure, à charge pour le bâtonnier de régler ce problème. Ce qui peut prendre un certain temps, avant de trouver un compromis, soit un (ou des) avocat(s), accepté(s) par les accusés. Soit, mais ces nouveaux avocats ne connaissent rien de l’affaire et, n’ayant pas eu accès au dossier, ne sauraient plaider à l’aveuglette. Ils demandent donc au président de renvoyer, encore une fois, le dossier à une date ultérieure, précisant bien qu’ils souhaitent que ce renvoi soit assez long pour leur permettre, à la fois de prendre connaissance du dossier, mais aussi d’établir un contact avec le prévenu, afin d’élaborer ensemble une ligne de défense cohérente et plausible.
Les présidents de Cours d’assises, en général, ont horreur des renvois, et des dossiers qui traînent en longueur. Leur credo est d’être expéditif, car des dossiers nouveaux arrivant tous les jours, on ne saurait encombrer les tribunaux d’affaires anciennes, toujours en attente depuis des mois, alors que le flux d’arrivées ne tarit jamais! C’est donc pour les présidents de tribunaux criminels un perpétuel exercice d’équilibre, c’est-à-dire accélérer le traitement des dossiers, tout en respectant les droits du prévenu à être correctement assisté, en acceptant notamment les demandes de la défense, en matière de renvoi.
