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Idées

Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire a-t-il un réel pouvoir ?

Au Maroc, peu de magistrats sont vraiment sanctionnés, bien que certains d’entre eux soient responsables de manquements divers, passant du déni de justice à  l’ignorance de la loi, si ce n’est pour des faits plus graves qui sont en général dissimulés ou couverts. Les justiciables remarquent bien le train de vie de tel juge (incompatible avec sa rémunération), la fréquentation assidue de certains établissements nocturnes chez un autre, ou le manque de délicatesse ou de rigueur chez un troisième.

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boucetta 2012 04 10

La nouvelle Constitution vient donc d’entériner ce qui était courant et normal ailleurs, et depuis des lustres, à savoir la séparation des pouvoirs et l’indépendance des uns par rapport aux autres. Ainsi, le pouvoir judiciaire devient-il (en principe) libre de toute inféodation aux autres pouvoirs.

Notre Constitution n’a rien inventé. Déjà, dans l’Antiquité, Aristote planchait sur la question, le concept étant plus tard repris, amendé et corrigé par une pléiade d’auteurs et non des moindres : Locke, Montesquieu et Rousseau, puis Sieyès avaient fait évoluer cette notion grâce à leurs travaux consacrés à l’évolution du monde politique.

En France, dont notre système juridique s’inspire, le Conseil supérieur de la magistrature(CSM) a vu le jour en 1883, et n’a cessé d’évoluer en affichant, revendiquant et défendant farouchement une totale indépendance par rapport aux autres pouvoirs, l’Exécutif et le Législatif. Indépendance qui ne peut être garantie que si le CSM a aussi la possibilité de procéder à des sanctions, sans l’interférence des autres pouvoirs. Car là réside la fonction d’un tel organisme : tout en veillant au bon déroulement des carrières des magistrats, en leur assurant une défense rigoureuse lorsqu’ils sont mis en cause, en organisant les différentes mutations, promotions ou avancements, il a aussi le pouvoir de sanction, c’est-à-dire la possibilité de «juger les juges», afin que ces derniers, aussi puissants soient-ils dans l’exercice de leurs fonctions, sachent qu’ils ne sont pas à l’abri de poursuites ou sanctions disciplinaires. Il est intéressant de savoir que les décisions du CSM sont publiques, anonymisées et consultables librement sur son site internet. Le but de cette publicité, selon un membre français du CSM, est de «permettre aux magistrats d’appréhender les exigences pratiques de leur fonction et aux justiciables de connaître les conditions d’un exercice impartial de la justice». Et de fait une visite sur ce site n’est pas triste, et on en sort stupéfait, tant par le contenu et les motifs de poursuite, que par la transparence totale affichée par ce corps. On trouve de tout : de l’abandon de poste à l’excès (ou défaut) de zèle, en passant par la vulgarité, la toxicomanie ou les mauvaises fréquentations. On est sanctionné pour manque de délicatesse (envers ses supérieurs ou les justiciables), pour défaut de prudence, de neutralité ou d’impartialité ; on y apprend, dans un chapitre dédié «à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit imposer aux justiciables», qu’un magistrat doit, pêle-mêle, respecter les bonnes mœurs, ne pas abuser de ses fonctions, de préserver la dignité de celle-ci. On est averti ou blâmé pour avoir négligé l’obligation de tenir des audiences, le devoir de connaître le droit, ou la nécessité de dire le droit… Sans parler de l’obligation de déclarer son patrimoine lors de la prise de fonction.

Vraiment étonnant, lorsqu’on découvre que tel magistrat a été sanctionné pour s’être servi en meubles et toiles de maître… parmi les objets saisis ! Que tel autre avait des amitiés douteuses avec la mafia, sans compter les histoires de détournement de fonds de la caisse du tribunal, ou faveurs accordées à une trop jolie justiciable !

Au Maroc, pour l’instant, rien de tel. Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), selon sa définition officielle, «veille à l’application des garanties accordées aux magistrats, quant à leur indépendance…blabla…nomination, avancement et discipline». Sa composition est en gros identique à celle du CSM, et il est présidé comme lui par le chef de l’Etat. Mais contrairement au CSM, ses décisions ne sont pas publiques, ce qui change toute la donne. Et de fait, au Maroc, peu de magistrats sont vraiment sanctionnés, bien que certains d’entre eux soient responsables de manquements divers, passant du déni de justice à l’ignorance de la loi, si ce n’est pour des faits plus graves qui sont en général dissimulés ou couverts. Les justiciables remarquent bien le train de vie de tel juge (incompatible avec sa rémunération), la fréquentation assidue de certains établissements nocturnes chez un autre, ou le manque de délicatesse ou de rigueur chez un troisième.

Il reste à espérer que ce nouvel organisme va redonner tout son lustre à la justice, et à la remettre sur le piédestal qui doit être le sien, en veillant à ce que l’attitude de ses membres soit irréprochable en permanence.