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Idées

La leçon de morale d’un juge

le discours de l’accusé était bien rodé : un père décédé, une mère malade et au foyer, et lui, seul soutien de famille, devant en même temps subvenir aux besoins de sa mère, tout en poursuivant ses études supérieures. Et ça marchait, car, de-ci, de-là, il récoltait toujours quelques subsides. Tout en jetant un œil averti aux maisons, repérant certains détails qui pouvaient s’avérer précieux.

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chronique Fadel Boucetta

Les audiences se suivent et ne se ressemblent pas toujours, au Tribunal correctionnel pénal d’Ain-Sebâa. Les délits sont variés, et concernent plusieurs faits et actes. Cela va des vols simples à ceux avec effraction, en passant par les atteintes aux personnes du genre coups et blessures avec ou sans armes, ou cambriolages en tous genres.

Cette semaine, on jugeait un jeune homme poursuivi, justement, pour vols, avec quand même une circonstance aggravante, à savoir l’état de récidive. Celle-ci signifie, pour ceux qui ne sont pas familiers avec le jargon juridique, que le prévenu n’était pas à son coup d’essai… et même loin de là, puisque son casier judiciaire mentionnait déjà plus de huit condamnations pour les mêmes faits. Sa méthode était relativement simple: il se promenait dans certains quartiers huppés de la ville, frappait aux portes des villas cossues, se prétendant étudiant en doctorat, cherchant des soutiens financiers, car, disait-il, il était issu d’une famille nécessiteuse, n’ayant pas les moyens de lui payer ses études. Son discours était bien rodé : un père décédé, une mère malade et au foyer, et lui, seul soutien de famille, devant en même temps subvenir aux besoins de sa mère, tout en poursuivant ses études supérieures. Et ça marchait, car, de-ci, de-là, il récoltait toujours quelques subsides. Tout en jetant un œil averti aux maisons, repérant certains détails qui pouvaient s’avérer précieux : le personnel comprenait-il des hommes, jardiniers, chauffeurs, valets, ou n’était-il composé que de femmes ? Y avait-il un animal de compagnie ? Un chat, une tortue, voire un aquarium rempli de poissons, ne le dérangeait pas beaucoup. Par contre, la présence d’un chien, quel qu’il soit, et de n’importe quelle race, le dissuadait en général de s’attaquer à la demeure. Par expérience, il savait qu’un chien, même tout petit, tout joli et très mignon, pouvait se révéler un adversaire coriace, et en même temps un gardien efficace, car ses aboiements devant un individu inconnu et suspect pouvaient rameuter tout le voisinage.

Ses affaires allaient donc bon train, jusqu’au jour où, suite à une mauvaise évaluation de la situation, il tomba sur une maison qu’il pensait vide, mais qui, en fait, étant en rénovation, abritait pour la nuit quelques ouvriers, maçons, peintres et menuisiers. Lesquels entendant des bruits suspects alors qu’ils dormaient, se précipitèrent vers l’intrus, et le neutralisèrent en quelques instants. Son jeune âge lui évita une sévère correction, mais les ouvriers avertirent la police, qui l’appréhenda, le présenta à un substitut du procureur, qui décida de le poursuivre pour vols aggravés en situation de récidive. Précisons que la récidive prévoit une aggravation des peines encourues, la société ne tolérant pas que ce genre d’activité nuisible devienne une habitude, et un moyen avéré de subsistance.

A l’audience correctionnelle, voilà donc le jeune homme sommé de s’expliquer, devant des magistrats aux visages fermés, peu enclins à se laisser amadouer par une fable qu’ils connaissaient par cœur : la famille pauvre, la mère malade, le besoin de survivre, sans emploi, etc. Les juges ne sont pas insensibles, ce sont même des êtres humains capables de compréhension et d’empathie, quand il le faut. Mais ce sont aussi des professionnels à qui on ne la fait pas, et dans cette affaire les faits sont clairs, le prévenu a spontanément tout avoué, et son passé de récidiviste ne plaide pas en sa faveur.

L’audience ne s’éternisa donc point, et comme de coutume, après avoir écouté toutes les parties, à savoir le parquet, les parties civiles, puis la défense, le président donna la parole à l’accusé, lui demandant s’il avait quelque chose à ajouter pour sa défense. Après un bref instant de réflexion, l’accusé répondit en citant un verset du Coran : «Dieu aime les gens persévérants», ajoutant : «C’est mon destin, j’ai été créé pour gagner ma subsistance en volant», puis regagna sa place dans le box. Stupeur dans la salle : un prévenu voleur érudit, c’est assez rare dans les prétoires. Mais le président d’audience, en juriste aguerri, ne se laissa pas démonter, et rétorqua: «Effectivement jeune homme, mais une persévérance constructive. Dans des projets honnêtes. Et non au détriment de la société. Vous êtes quelqu’un de cultivé, aussi la Cour va vous laisser une dernière chance, et assortira votre peine de sursis pour la moitié ; mais si je vous revois dans cette salle, pour les mêmes motifs, vous irez méditer vos connaissances en prison, et pour un long moment».

Et de fait, d’après les magistrats interrogés, on n’a plus revu ce jeune homme en audience correctionnelle, preuve, peut-être qu’il s’était définitivement rangé, en reprenant une vie normale.