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Idées

La fête du mouton et…de la tolérance

Les magistrats qui siègent les troisième et quatrième jours après la fête ne sont pas particulièrement contents d’être d’astreinte, mais il faut bien que la machine judiciaire tourne. Alors, on juge vite et d’une manière plutôt expéditive les cas les plus flagrants, mais comme c’est une période de fête, les juges essayent de ne pas avoir la main trop lourde.

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chronique Fadel Boucetta

Et voilà, la fête du mouton est derrière nous. L’occasion de relever certaines anomalies juridiques qui accompagnent la célébration de cette fête religieuse, chère à tous les Marocains.

Commençons par l’aspect sécuritaire : une chose est sûre (les statistiques sont formelles), durant ces quelques jours de fête la délinquance en général connaît une baisse spectaculaire : on agresse moins les gens dans les rues, on enregistre moins de conflits entre automobilistes… Un point demeure, qui suscite d’ailleurs l’étonnement de nombreux Occidentaux, en particulier ceux qui arrivent au Royaume le jour même de la fête. On voit déambuler à tous les coins de rue certains individus (parfois, avouons-le, à la mine peu rassurante) munis (armés diront certains) de grands coutelas, parfois maculés de taches bizarres et marrons. Les rondes de police qui les croisent les ignorent, au grand dam des citoyens craintifs. Mais pas de panique, il ne s’agit que de bouchers pour qui la fête… est aussi une occasion pour gagner un peu d’argent. Les autres périodes de l’année, se promener avec un couteau ostensiblement affiché conduit inexorablement au poste de police, puis au tribunal pour le délit de «port d’arme blanche évidente». Mais c’est la fête, et certaines choses deviennent possibles. Comme par exemple allumer des feux à tous les coins de rue pour faire cuire les fameuses têtes de moutons. En d’autres occasions, cela s’appelle juridiquement «mise en danger de la vie d’autrui en allumant des feux sur la voie publique, susceptibles de dégénérer en incendies dévastateurs»… À cette occasion d’ailleurs, les bouches d’incendie sont mises à rude épreuve, et on peut que souhaiter qu’aucun départ de feu ne se déclare en ville : on trouverait alors ces bouches complètement à sec, vidées par les citoyens qui veulent éteindre ces feux désordonnés !

Du point de vue de la circulation, ce n’est pas mieux ! Qui n’a jamais croisé un véhicule transportant un mouton dans le coffre, celui-ci restant ouvert, pour qu’un gamin s’installe à côte de la bête ? Du point de vue du code de la route, ce comportement constitue une infraction caractérisée : d’abord, le coffre doit être fermé quand le véhicule circule, sinon, il gêne la vue par le rétroviseur central, et le véhicule devient un danger pour les autres utilisateurs des boulevards et avenues ; ensuite, il est strictement interdit de rouler avec des personnes installées dans le coffre, pour des raisons évidentes de sécurité. Mais encore une fois, pas de verbalisation : les policiers locaux savent à l’occasion regarder ailleurs, et puis, aucune directive particulière n’est donnée ce jour-là : alors on fait preuve de tolérance…

Il en est de même dans les salles d’audience des tribunaux qui jugent les flagrants délits. Les magistrats qui siègent les troisième et quatrième jours après la fête ne sont pas particulièrement contents d’être d’astreinte, mais il faut bien que la machine judiciaire tourne. Alors, on juge vite et d’une manière plutôt expéditive les cas les plus flagrants, mais comme c’est une période de fête, les juges essayent de ne pas avoir la main trop lourde : déjà qu’il est difficile d’envoyer des gens en prison, alors que tout le pays ripaille, mais il faut aussi penser aux familles des prévenus qui, elles, n’ont commis aucun délit, mais qui vont se retrouver privées d’un proche à un moment particulier de l’année, punition assez sévère !

Du point de vue hygiène, santé publique et salubrité, ce n’est pas mieux. On a cité les feux qui s’allument dans tous les quartiers, mais au-delà de ces feux, c’est tout un quartier qui se dégrade, le temps de la célébration. Avant la fête, des particuliers transforment leurs garages en étables, louées aux professionnels venus vendre leurs moutons. On entend alors des bêtes bêler toute la nuit, hurler parfois, au grand mécontentement des voisins qui n’apprécient que très modérément de voir leur quartier transformé en ferme urbaine. Tout ceci n’est encore rien par rapport à l’état des rues après les fêtes, transformées en boucheries en plein air. Encore une fois, bien des règles et des lois sont bafouées à l’occasion, mais aucune répression ou infraction n’est envisagée : on part du principe que tout cela est provisoire, et relève de la célébration d’une obligation religieuse ancestrale.

Enfin, et sur un tout autre registre, il faut relever que la fête du sacrifice est attendue avec beaucoup d’impatience par une frange particulière de la société, celle des détenus de toutes les prisons du Royaume. C’est en effet l’occasion pour S.M. le Roi d’accorder sa grâce à plusieurs dizaines de personnes. Ce geste traditionnel et séculaire permet au Souverain d’alléger les peines de plusieurs familles et de rendre convivial et chaleureux cet instant de fête religieuse, tout en participant à la diminution de la population carcérale. Attitude royale toujours appréciée à sa juste valeur !