Idées
Justice équitable…
Au dessus de la tête des juges, dans toutes les salles d’audience, on trouve des versets du Coran, notamment celui où il est dit : «Et si vous avez à juger parmi les Hommes, faites-le avec équité». Ce n’est pas l’injonction d’un haut fonctionnaire à un autre, c’est une Parole Divine qui a le mérite de rappeler aux Juges, qu’outre la Justice Humaine, il y a aussi la Justice Divine.

En France, l’on trouve sur tous les frontispices des tribunaux la devise nationale : «Liberté, Egalité, Fraternité». La formule est connue, elle a fait son chemin, mais des juristes curieux se sont demandé si elle avait vraiment sa place dans les palais de justice. En effet, dans un tribunal, il est plus souvent question d’emprisonnement, de peines privatives de liberté, d’incarcération, de mise sous écrou, ou autres joyeusetés qui n’ont qu’un rapport éloigné avec la liberté. Les magistrats, du reste, en premier lieu les procureurs de la République, s’en donnent à cœur joie, et le mot d’ordre demeure «incarcération», fût-ce pour des broutilles (reconnaissons que la France n’est pas un cas isolé, puisqu’un magistrat facétieux vient de condamner, aux Etats-Unis, un prévenu à 42 371 années de prison!). Question égalité, ce n’est pas mieux. Un écrivain français avait eu cette savoureuse formule : «Selon que vous soyez puissant ou misérable, la justice vous fera innocent ou coupable». C’est clair. Quant à la fraternité, on peut toujours la chercher dans les tréfonds des tribunaux, dans les sous-sols où se trouvent les geôles, mais il y a peu de chance de croiser des sentiments de fraternité en ces lieux.
Au Maroc, c’est différent. Au dessus de la tête des juges, dans toutes les salles d’audience, on trouve des versets du Coran, notamment celui où il est dit : «Et si vous avez à juger parmi les Hommes, faites-le avec équité». Ce n’est pas l’injonction d’un haut fonctionnaire à un autre, c’est une Parole divine qui a le mérite de rappeler aux juges, qu’outre la justice humaine, il y a aussi la Justice divine, ce qui doit inciter ces hommes et femmes qui jugent leurs prochains à savoir faire preuve de compréhension. Mais la tâche peut s’avérer difficile, et toute la bonne volonté du monde ne suffit parfois pas.
Prenons par exemple le cas d’Al Hoceima. Cet été, les jeunes du Nord ont eu un coup de chaud, qui n’est pas dû qu’aux températures estivales. Un banal enchaînement d’événements s’est tout à coup embrasé, conduisant à des situations pour le moins tendues. Déjà quelques personnes ont été interpellées, et présentées en flagrant délit devant les tribunaux. Au Maroc, grâce à Dieu, les gens savent raison garder, et donc les prévenus ne sont poursuivis que pour (dirions-nous) des délits mineurs : destruction de biens d’autrui (les voitures brûlées et vitrines brisées), refus d’obtempérer aux injonctions des forces de l’ordre, ou attroupements non autorisés sur la voie publique. Il n’est nullement question de morts, de vandalisme, ou autres actes autrement plus graves. La question qui va se poser aux magistrats est donc la suivante : faut-il considérer ces jeunes comme des séditieux en puissance, ou comme de simples citoyens un peu désœuvrés, entraînés à leurs corps défendant dans des manifestations qui les dépassent ? Et là nous retrouvons alors la citation mentionnée plus haut: «Et si vous avez à juger parmi les Hommes, soyez équitables». Exercice peu facile du reste car les points de vue divergents ; pour certains, le maintien de l’ordre public est une priorité, et l’on ne saurait tolérer des casseurs parmi les manifestants, donc, ils appellent à la fermeté et à la sévérité. Pour d’autres, au contraire, il s’agit tout simplement de jeunes manifestants irresponsables et inconscients, dont nombreux suivent toujours un cursus scolaire ou universitaire, et on ne saurait, par un jugement trop dur, obérer leur avenir. Que faire alors, et vers quel sentiment balancer ? Ce sera tout le secret du procès qui s’ouvrira bientôt, et dans lequel les magistrats auront à faire preuve d’un doigté précis. Calmer les tensions, sans attiser les flammes : tout un programme auquel les juges sont de toute manière formés, conscients aussi qu’ils ont un rôle stratégique à jouer dans la gestion de ce genre de situations.
