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Idées

Inculpé pour avoir voulu rendre service

un jeune homme portant secours à une dame s’évanouissant sur le trottoir, au moment où des policiers passaient non loin. Ils crurent à une agression, intervinrent brutalement, avant de s’interrompre devant les cris de la dame offusquée, hurlant qu’il ne faisait que l’aider à se relever. Moralité, aurait conclu la Fontaine : «Ne faites pas le bien, vous ne risquerez rien».

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chronique Fadel Boucetta

En arabe dialectal, il existe un dicton qui dit : «Ne fais pas le bien, il n’arrivera aucun mal», que l’on peut traduire par : «Occupes-toi de tes affaires, et tu seras tranquille». Le jeune homme, dont il sera question ici, ne connaissait apparemment ni le proverbe arabe, ni sa version occidentale. Et du coup, le voici comparaissant cette semaine devant la Chambre correctionnelle du Tribunal pénal d’Ain-Sebââ, poursuivi par le parquet pour tentative de vol aggravé et destruction de bien d’autrui. En termes juridiques, cela renvoie tout de suite aux mots qui fâchent, on utilise une terminologie à glacer le sang, mais bien souvent pour des peccadilles. En l’occurrence le jeune M. est inculpé pour avoir voulu rendre service à son prochain. En effet, revenant de son travail tard dans la soirée, son attention a été attirée par un grésillement, une sorte d’éclair en provenance d’une voiture garée sur son chemin.

En y regardant de plus près, il a constaté simultanément deux choses: d’abord qu’effectivement de minuscules étincelles (ou flashs de lumière, allez savoir) provenaient de l’autoradio du véhicule ; et ensuite que la vitre du passager avant n’était pas entièrement fermée. Alors, logiquement, avisant un morceau de fer qui traînait par terre, il entreprit de forcer la vitre, afin d’intervenir sur le feu qui menaçait de prendre réellement, ceci dans le but d’éviter que le véhicule en entier ne parte en fumée. Dans ses efforts, il ne vit pas quelques jeunes du quartier s’approcher de lui, l’encercler, avant de fondre sur lui, le rouer de coups, persuadés qu’ils étaient, d’avoir affaire à un voleur.

Averties, les forces de l’ordre dépêchèrent illico un fourgon de police qui appréhenda le jeune M. d’une manière, disons plutôt musclée. Les policiers ne sont jamais très tendres avec les délinquants surpris en flagrant délit. Mais une fois au commissariat, le jeune M. n’eut pas de grandes difficultés à convaincre ses interlocuteurs de sa bonne foi. Il n’avait fait qu’essayer d’intervenir pour éviter un feu de voiture. Contacté, le propriétaire du véhicule confirma l’existence d’un problème électrique sur sa voiture, ajoutant qu’il avait pris contact avec un électricien pour le régler.

Bien, donc dossier clos, on peut passer à autre chose ? Ah non, en décida le substitut du procureur en charge de cette affaire. Si la tentative de vol ne tient pas la route, par contre il y a bien vandalisme et tentative volontaire de détruire le bien d’autrui ! Qu’en termes juridiques ces choses sont joliment dites ! Pour ce magistrat, il y a bien ce qu’on appelle les éléments constitutifs du délit de vandalisme. On ne casse pas les vitres d’un véhicule qui ne vous appartient pas sans raison. Mais lui fit-on remarquer, il y avait bien un motif, justifiant l’intervention de M., à savoir un risque d’incendie d’une voiture, garée au milieu d’autres voitures, et cela aurait pu dégénérer, non ?

Quand un magistrat a une idée derrière la tête, il est difficile de la lui enlever. Alors la réponse fut: «Oui, certes… mais cela n’excuse pas la détérioration du bien d’autrui». Ajoutant : «Si feu il y avait, le prévenu M. n’avait qu’à appeler les pompiers…». Et de requérir dans la foulée un emprisonnement ferme de trois mois. Heureusement, autant les procureurs sont sévères dans leurs réquisitions, (et c’est le rôle qu’attend d’eux la société), autant les magistrats du siège savent se montrer compréhensifs, et, dans ce cas présent, ils se contentèrent d’un «rappel à la loi». Ce qui signifie, aucune condamnation, mais une petite leçon de morale, se résumant en un lapidaire : «La prochaine fois, occupez-vous de vos affaires !», et tout le monde s’en portera bien. La même mésaventure était arrivée à un autre jeune homme portant secours à une dame s’évanouissant sur le trottoir, alors que des policiers passaient non loin. Ils crurent à une agression, intervinrent brutalement, avant de s’interrompre devant les cris de la dame offusquée, hurlant qu’il ne faisait que l’aider à se relever. Moralité, aurait conclu La Fontaine : «Ne faites pas le bien, vous ne risquerez rien».