SUIVEZ-NOUS

Idées

De l’indépendance du parquet

Fini, espérons-le, les connivences entre magistrats (procureurs et juges), au nom de la confraternité professionnelle. Désormais, chacun aura sa propre hiérarchie qui lui fixera des objectifs spécifiques qui ne seront pas forcément ceux confiés aux Juges. Et de cette saine opposition naitra forcément une émulation positive dont ne pourront que profiter les justiciables.

Publié le


Mis à jour le

chronique Fadel Boucetta

C’est bientôt la fin des vacances pour la plupart des gens et la rentrée est attendue, pour les petits comme pour les grands. L’occasion de revenir sur l’une des innovations les plus importantes que le monde judiciaire ait connues ces dernières années, et qui marque l’enracinement concret et définitif du Royaume parmi les Nations possédant un système juridique répondant aux normes reconnues internationalement, et qui ne cesse toutefois de progresser en la matière.

Ainsi, et suite aux directives royales, exit «le Conseil supérieur de la magistrature» et place au nouveau «Conseil supérieur du pouvoir judiciaire». Le changement n’est pas que sémantique, il modifie certaines données essentielles. La plus intéressante des innovations est celle qui consiste à mettre, à la tête du parquet, le procureur général du Roi près la Cour de cassation en lieu et place du ministre de la justice. Cette mesure consacre définitivement la véritable séparation des pouvoirs. Auparavant, nous avions le pouvoir législatif, autorité qui fait les lois (matérialisée par le Parlement), le pouvoir exécutif, chargé, lui, de la mise en œuvre et de l’application effective des lois. Le pouvoir judiciaire n’existait pas, et l’on vivait alors un curieux paradoxe.

Dans la Constitution, la séparation des pouvoirs était gravée dans le marbre. Au Maroc existaient trois pouvoirs distincts. Mais dans les faits, cette séparation n’était pas très évidente. Prenons un exemple pour illustrer cela.

Donc les juges étaient indépendants, alors que les procureurs relevaient de la hiérarchie normale du parquet, soit un procureur général par ville assisté d’un certain nombre de substituts. Totalement sous la tutelle du ministère. Mais dans les faits, personne n’était dupe, et il n’existait aucune indépendance, ni aucune autonomie ; sauf que si les procureurs pouvaient recevoir des instructions précises en provenance de leur hiérarchie, parfois même par écrit, les juges, eux, étaient censés juger en leur âme et conscience et sans aucune interférence de qui que ce soit. Du moins en théorie toujours. Car, au-delà de ces considérations juridico-constitutionnelles, un juge est payé par le ministère ; sa carrière dépend de ce même ministère ; aussi, il faut savoir lire habilement entre les lignes pour comprendre ce que souhaite vraiment le ministère. Et c’est ainsi que fonctionnait le système judiciaire.

Aujourd’hui, avec ce changement technique, la situation va évoluer. Le parquet devient indépendant. Il détient désormais un réel pouvoir. La chancellerie ne peut plus lui donner des instructions, en vue de requérir dans tel ou tel sens, dans certaines affaires sensibles. Elle ne peut plus ordonner des mises en détention, ou des libérations, après qu’un magistrat ait statué. Pour les justiciables aussi, le changement a son importance, car dorénavant les procureurs ou substituts en charge de leurs dossiers vont pouvoir agir et statuer en toute liberté. Fini, espérons-le, les connivences entre magistrats (procureurs et juges), au nom de la confraternité professionnelle. Désormais, chacun aura sa propre hiérarchie qui lui fixera des objectifs spécifiques qui ne seront pas forcément ceux confiés aux juges. Et de cette saine opposition naîtra forcément une émulation positive dont ne pourront que profiter les justiciables. En effet, une justice sereine doit être le fruit d’une réflexion personnelle de la part du magistrat qui va statuer; il ne faut point que son discernement, son analyse des faits ou son interprétation des textes obéissent à des considérations matérielles ou techniques, tels que son salaire ou son avancement hiérarchique. Ils ne doivent dépendre, selon les us et coutumes, que de son intime conviction, ce dont nous étions encore assez loin. Saluons donc cette réforme du parquet, et espérons qu’elle progressera dans le sens d’une meilleure application de la justice. Ce qui répondra aux instructions royales (émanant il est vrai d’un juriste averti) visant à conforter et consolider l’Etat de droit dans le Royaume.