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Idées

De la sécurité dans les tribunaux

Dans les tribunaux de Casablanca, on entre comme dans un moulin, aisément, beaucoup plus que dans une grande entreprise, par exemple. Les mesures de protection existent pourtant; elles ont été mises en place il y a presque une décennie. Sauf qu’une certaine nonchalance prévaut, d’une manière générale et trop évidente.

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chronique Fadel Boucetta

Prévenir vaut mieux que guérir, dit l’adage. C’est pourquoi il me semble utile d’attirer l’attention sur la sécurité qui prévaut dans les tribunaux marocains. Les responsables en charge de ce secteur semblent faire preuve d’un étrange immobilisme, et ce, bien que de par le monde les actes de violence, de terrorisme et autres atrocités se multiplient.

Dans les tribunaux de Casablanca, on entre comme dans un moulin, aisément, beaucoup plus que dans une grande entreprise, par exemple. Les mesures de protection existent pourtant ; elles ont été mises en place il y a presque une décennie suite à certains événements qu’avait connus le pays. La présence policière a été renforcée, et des détecteurs de métaux installés, à l’instar de ce qui existe dans nos aéroports. Sauf que, si dans ces derniers la vigilance est de mise et les factionnaires aux aguets, dans les tribunaux, une certaine nonchalance prévaut, d’une manière générale et trop évidente.

Prenons le cas du Tribunal de Première instance de Casablanca, qui accueille tous les jours des centaines de personnes, citoyens venus régler leurs affaires, fonctionnaires de l’administration rejoignant leurs postes, professionnels du droit en pleine activité, badauds en tous genres…, voire des touristes attirés par la beauté du bâtiment. Tout ce beau monde passe devant deux policiers débonnaires, installés avec leur machine de détection et censés contrôler tout ce qui se présente devant eux. Mais le Maroc est un pays…ouvert, tolérant où l’esprit de suspicion est loin d’être répandu. Donc on entre dans ce tribunal un peu comme dans un moulin. Contrôler tout le monde, systématiquement, reviendrait à créer des files d’attente interminables ; et laisser passer tout le monde reviendrait à prendre des risques évidents en matière de sécurité. Alors cela se passe, si j’ose dire, «à la tête du client» : les habitués sont connus, certains citoyens présentent mieux que d’autres, d’autres aux accoutrements négligents sont soumis au contrôle, ce qui ne va pas sans créer parfois des incidents.

Comme le jour où un avocat venant d’une ville de province, et vêtu d’un jean, fut sommé d’ouvrir sa mallette avant de franchir la porte du tribunal. Le respectable maître s’en offusqua, refusa tout net d’obtempérer, arguant de sa qualité de juriste professionnel, ce qui eut le don d’exaspérer les factionnaires de service. D’où un vif échange de paroles et de locutions en tous genres, esclandre, attroupement, avant l’intervention du bâtonnier et d’un représentant du parquet pour calmer la situation et apaiser les esprits.

Au tribunal de commerce, ce n’est pas mieux : un ou deux factionnaires selon la saison ou l’air du temps, on ne sait jamais ; une machine de détection pour faire joli, car rarement utilisée, et à l’intérieur même du tribunal, un agent de police sympathique et rondouillard chargé de faire respecter l’ordre…dans une douzaine de salles d’audience, sachant que, parfois, en période de pointe, elles sont toutes en activité !

Rappelons d’ailleurs aux responsables du ministère qu’en 1985 eut lieu à Nantes (France) une spectaculaire prise d’otages qui, en son temps défraya la chronique, et incita, depuis, la chancellerie française à instaurer des mesures draconiennes en matière de sécurité dans les tribunaux (pour la petite histoire, l’auteur de cette action, arrêté, jugé, condamné, puis libéré, est venu s’installer au Maroc en 1997). Depuis, l’accès aux cours de justice françaises est rigoureusement surveillé, et de fait, aucun autre incident de la sorte ne s’est reproduit. Au Maroc, on ne tire jamais toutes les leçons qu’il faut, quand il le faut. Ainsi, il y a quelques années, j’ai assisté à l’irruption d’un individu armé d’un couteau en pleine salle d’audience du Tribunal administratif de… Rabat, capitale du Royaume ; ce qui fait quand même un peu désordre. L’unique policier de faction était parti prendre l’air, et l’énergumène excité vociférait en tenant des propos incompréhensibles, tout en agitant son couteau. Courageusement, si j’ose dire, le président d’audience s’éclipsa aussitôt par la porte située derrière lui, suivi par ses deux assesseurs. Dans un mouvement de panique, les personnes présentes dans la salle refluèrent vers la sortie. C’est alors que, avec beaucoup d’aplomb et d’assurance, un avocat, originaire du nord du pays, et connu pour ses plaidoiries flamboyantes tout autant que par son caractère excentrique, fit face à l’homme armé et entreprit de dialoguer avec lui pour le calmer. Fort astucieusement, aidé par sa carrure imposante, il réussit en quelques minutes de dialogue à acculer l’individu au fond de la salle, lui interdisant de fait toute fuite possible. Cet étrange face-à-face ne dura que quelques minutes, avant l’arrivée en force des policiers, qui entraînèrent, sans violences, la reddition immédiate du forcené. Espérons donc que le système de sécurité des tribunaux marocains soit réexaminé, à l’aune de ce qui existe ailleurs de par le monde, en matière de sécurité des bâtiments publics.