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Idées

De la responsabilité civile des exploitants des grands taxis

Et comme souvent, le dindon de la farce sera l’infortuné citoyen/voyageur/contribuable, qui se verra balader de tribunal en cour d’appel et d’expertise en contre-expertise avant de pouvoir recevoir son indemnisation. Certains décèderont même avant…

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chronique Fadel Boucetta

Casablanca est une métropole moderne qui se développe rapidement, et qui voit sa population augmenter d’année en année. Population active, dynamique, productive… et très mobile. Alors, l’Etat y va de ses grands travaux d’infrastructure, un pont par-ci, une trémie par-là, une première ligne de tramway, puis, bientôt une seconde. On se penche sur ce qui pose problème dans cette grande ville, à savoir la mobilité des personnes. Les lignes de bus ont été développées, et puis, aux traditionnels petits taxis qui font la renommée de la ville, se sont greffés d’autres transporteurs, opérant à bord de véhicules blancs, importés, en plus ou moins mauvais état, d’un pays européen.

Il n’y aurait rien à redire, si cela soulageait les difficultés posées par la question du transport dans la ville. Or, dans les faits, ces voitures transportent bien des passagers/clients/voyageurs, mais dans des conditions souvent assez déplorables. Le problème prend de l’ampleur en cas de sinistre, car alors, miraculeusement, les responsabilités se diluent assez rapidement. Et les tribunaux saisis, en perdent leur latin. En effet, dans l’exploitation de ces taxis, on trouve toute une chaîne, et il est parfois difficile de cerner le vrai responsable. Car tout commence par une autorisation de circuler et de transporter des gens, dans un but lucratif. Ce que l’on nomme, dans le jargon du métier, «un agrément» (ou lgrima, en darija). Ce document est délivré par les gouverneurs des préfectures, en principe selon des critères précis. On favorise ainsi certaines familles dépourvues, dont le père a rendu des services à la Nation, par exemple d’anciens militaires, blessés au combat, et qui ne peuvent survivre avec de maigres pensions. Ou encore, lorsque ledit père est décédé, on alloue une autorisation à sa veuve, mère de famille, afin de l’aider dans ses dépenses quotidiennes. Et au final, on arrive à la situation suivante, dans bien des cas : la personne bénéficiaire de cette autorisation ne l’exploite pas elle-même, mais la met en location. Donc, c’est une tierce personne, inconnue des services sociaux, qui se retrouve en mesure d’assurer la mission de transport. Cette dernière, le plus souvent, à son tour, met l’agrément en location au plus offrant…et le tour est joué.

Tout va bien, jusqu’au jour où un sinistre se produit. On parle bien de sinistre et non d’accident, car il s’agit plutôt d’hécatombe, provoquée par les chauffeurs irresponsables de ces engins, ajouté au fait que ces véhicules, d’un âge respectable (certains ont plus de trente ans d’activités au compteur), n’offrent aucune mesure de protection aux malheureux passagers : pas de ceintures de sécurité (afin de permettre, notamment d’embarquer deux personnes à côté du chauffeur), absence d’airbag, portières à la fermeture douteuse, etc. donc, en cas d’accident, que se passe-t-il ? On commence par découvrir que la police d’assurance (…si elle existe), porte un nom différent de celui figurant sur la carte grise, lequel est aussi différent de celui porté sur le permis de conduire du chauffeur. Ce qui ouvre la voie à bien des entourloupes, arrange bien les affaires des assureurs et fournit du travail aux avocats et aux magistrats. Qui sera considéré comme responsable civilement, et devra donc régler les indemnisations prévues par la loi ? Le propriétaire du véhicule? Le titulaire de l’agrément de transport? Le chauffeur, au moment de l’accident ?

Une chose est sûre, tout cela ne coule pas de source, et les différents protagonistes auront beau jeu d’utiliser ces «à-peu-près», pour retarder d’autant le moment où il faudra passer à la caisse. Et comme souvent, le dindon de la farce sera l’infortuné citoyen/voyageur/contribuable, qui se verra balader de tribunal en Cour d’appel et d’expertise en contre-expertise avant de pouvoir recevoir son indemnisation. Certains décéderont même avant d’être indemnisés, laissant leurs familles, déjà éplorées, face à la toute-puissance des compagnies d’assurance. Et ainsi va le monde cruel du transport à Casablanca !