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Idées

Accidents de la route : les assurances ne sont pas des organismes de bienfaisance

Est-ce qu’un simple barème, fût-il fort bien élaboré, peut suffire à réparer un préjudice physique grave et permanent ? C’est justement le rôle des magistrats, dont l’action principale il faut aussi le reconnaître, ne consiste pas qu’à envoyer des gens en prison.

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chronique Fadel Boucetta

L’été est là, donc pour bien des Marocains c’est l’heure des vacances estivales. Seulement il convient de faire attention, de manière à éviter que cela ne tourne mal, être prudent quand on conduit, ne pas prendre de risques inconsidérés à la plage, et choisir avec soin le moyen de transport à utiliser. Le tribunal correctionnel de Casablanca a été récemment saisi d’une affaire d’accident de la circulation, a priori banal. Sauf que l’une des victimes, M. K., sérieusement blessée, ayant perdu notamment l’usage d’un œil, demandait réparation des préjudices subis. Tout le monde connaît la procédure, en cas de sinistre, et sait que, en général, les préjudices sont couverts par une assurance. Fort bien, mais les assureurs ne s’en laissent pas compter, et ne sont pas là pour faire œuvre de bienfaisance. Ils défendent leurs intérêts, et essayent de prouver que, par exemple, la victime endossait une part de responsabilité. Et là, les choses se compliquent. Le véhicule à bord duquel se trouvait la victime appartenait, d’après la carte grise, à M. X.. Qui se trouve donc être le responsable civil, ayant souscrit une assurance pour son véhicule. Mais au moment de l’accident, il était conduit par M. Y. ; la législation exige que les responsabilités soient clairement établies, afin de déterminer quelle assurance paiera quoi et combien. Circonstance parmi d’autres, le blessé, assis à l’arrière du véhicule, ne portait pas de ceinture de sécurité.

Le dossier arrive donc devant le tribunal, après que les traditionnelles tentatives de conciliation à l’amiable ont échoué, comme c’est souvent le cas, les parties n’arrivant pas à se mettre d’accord sur le montant des indemnisations, les victimes gonflant leurs prétentions, auxquels les assureurs opposent des barèmes précis et détaillés. Mais justement, est-ce qu’un simple barème, fût-il fort bien élaboré, peut suffire à réparer un préjudice physique grave et permanent ? C’est justement le rôle des magistrats, dont l’action principale -il faut aussi le reconnaître- ne consiste pas qu’à envoyer des gens en prison.

Après étude du dossier et des éléments, le magistrat s’interroge : Qui est responsable de quoi et finit par conclure à une responsabilité partagée entre les deux conducteurs, ouvrant la voie à un partage des indemnisations entre les deux assureurs. Lesquels, bien entendu, relèvent appel de ce jugement, chacune essayant de faire endosser à l’autre partie la majeure partie de la responsabilité. On va alors se pencher sur la vitesse des véhicules, leur sens de marche, leur état, la situation des conducteurs, leurs documents administratifs. Les débats, en matière de réparation civile, sont souvent assez longs, chacune des parties cherchant à peaufiner sa position et affûter son argumentation.

Finalement, la Cour d’appel confirme l’arrêt de première instance, tout en estimant dans un de ses attendus que la victime était pour sa part coupable de négligence, en ayant omis de mettre la ceinture de sécurité. Ce verdict mitigé arrange un peu tout le monde. Aucun des conducteurs ne pourra porter le fardeau d’avoir été à l’origine d’un grave accident, ayant entraîné une IPP (immobilisation partielle permanente), qui aura certainement des répercussions sur la vie future de M. K. Celui-ci est, de son côté persuadé que sa propre désinvolture par rapport à la ceinture de sécurité a joué un rôle non négligeable dans la blessure qu’il a subie. Aucun des assureurs n’aura à supporter seul le règlement des importantes indemnités qui seront attribuées ultérieurement lors des procédures en réparation civile.

Le magistrat, en habile professionnel, a fait en sorte que la victime soit indemnisée ; correctement mais pas trop (nos valeureux magistrats ayant horreur de ce que le droit nomme suavement l’enrichissement indu au détriment de tiers) ; et de manière à ce que les deux compagnies d’assurance participent de façon équilibrée à la réparation du préjudice subi. C’est ce qui s’appelle du doigté, et cela n’est pas toujours facile quand il s’agit de statuer sur pareil cas. Rappelons à nos fidèles lecteurs que «prudence est mère de sûreté», et incitons-les à beaucoup de sérénité et de vigilance sur les routes, en cette période de vacances.