Idées
L’indépendance de la justice ne tolère aucune tutelle
Dans un système juridique fiable, les magistrats usent et abusent de principes intangibles, comme la présomption d’innocence, l’utilisation de la garde-à -vue comme une exception et non une routine ; êtres humains avant tout, ils fondent leurs décisions sur l’intime conviction, sur la réalité des preuves présentées, et bien sûr avec un respect tout particulier aux droits de la défense. Hélas, ces principes universels ne sont pas toujours assimilés par nos magistrats, qui se réfugient derrière le sacro-saint secret des délibérations pour ne faire que ce que bon leur semble.

L’important discours du 9 mars comportait certains volets intéressants se rapportant au monde judiciaire. Le Souverain proclamait sa volonté d’établir un système juridique crédible, indépendant, fort et à l’écoute des citoyens. Et parmi les points évoqués, figuraient en bonne place deux propositions concrètes : réformer le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et assurer une totale indépendance des magistrats, c’est-à-dire, rendre enfin effective la séparation des pouvoirs, base de toute démocratie réelle. Ainsi, l’article 82 de l’actuelle Constitution stipule que l’autorité judiciaire est indépendante du pouvoir exécutif et législatif. Mais dans les faits il en est autrement. Décryptage. Présidé par le Roi, le CSM a pour vice-président le ministre de la justice, membre éminent du pouvoir exécutif! En termes plus triviaux, c’est son ministère qui paie les salaires des magistrats. Donc, comment ces derniers peuvent-ils afficher leur indépendance par rapport à lui ?
En France, dont notre modèle judiciaire s’est inspiré, le CSM ne comprend pratiquement que des magistrats, des professeurs de droit, et des juristes confirmés (comme d’anciens bâtonniers, par exemple). Son président est le premier président de la Cour de cassation, secondé par le procureur général près cette Cour. Son rôle n’a rien de politique : il s’occupe essentiellement des carrières des magistrats, de leurs nominations (affectations, promotions, sanctions) et veille scrupuleusement sur leur indépendance et leur discipline. Le chef de l’Etat, lui, est le garant de cette indépendance et ne saurait s’immiscer dans des affaires judiciaires. C’est, il me semble, l’exemple à suivre dans le cadre de la réforme constitutionnelle en cours. Avec tout de même un aspect spécifiquement marocain, la présence d’un Souverain, qu’il conviendrait de placer au-dessus de la mêlée et des joutes politiques. Certains partis politiques ont cru bon de préciser qu’ils souhaitent conserver une présidence royale : c’est tout simplement être plus royaliste que le Roi, qui est bien conscient, lui, qu’une réelle indépendance de la justice ne doit connaître aucune tutelle émanant de l’un des trois pouvoirs. Aussi, il serait judicieux de reproduire le modèle occidental consistant à confier l’entière responsabilité de la machine judiciaire à des professionnels du droit : les membres du CSM seraient élus par leurs pairs au sein de collèges régionaux, puis nationaux, la présidence serait confiée de droit au magistrat le plus élevé dans la hiérarchie à savoir, au Maroc, le premier président de la Cour suprême. Le ministre de la justice, lui, conservera l’autorité hiérarchique sur les procureurs comme il en est ainsi dans toutes les démocraties. Le Parquet aura donc le pouvoir de requérir toutes peines, (fût-ce en application des directives ministérielles), le juge, pour sa part, statuant en son âme et conscience, en fonction des lois en vigueur.
Et cette dernière notion est très importante, car faisant appel à la fibre humaine du magistrat, lequel utilise encore aujourd’hui son pouvoir discrétionnaire, nonobstant toutes considérations sociales ou culturelles.
Ensuite, une fois le CSM constitué selon les nouvelles normes, il faudra bien s’attaquer à des mentalités conservatrices pour aboutir à une réelle indépendance des juges. Car il faut bien l’admettre, ce concept au Maroc demeure assez flou, pour ne pas dire inexistant. Dans un système juridique fiable, les magistrats usent et abusent de principes intangibles, comme la présomption d’innocence, l’utilisation de la garde-à-vue comme une exception et non une routine ; êtres humains avant tout, ils fondent leurs décisions sur l’intime conviction, sur la réalité des preuves présentées, et bien sûr avec un respect tout particulier aux droits de la défense. Hélas, ces principes universels ne sont pas toujours assimilés par nos magistrats, qui se réfugient derrière le sacro-saint secret des délibérations pour ne faire que ce que bon leur semble, en accord avec leurs collègues du parquet.
Ce sont donc ces deux points qui devraient être étudiés en priorité, si l’on veut que la réforme escomptée aboutisse à une réussite.
