Affaires
Répartition tacite des pouvoirs entre le tribunal et le Conseil de la concurrence
L’article 166 donnant la possibilité au conseil de statuer sur les questions relatives aux pratiques commerciales déloyales n’est toujours pas clarifié. Des professionnels du droit considèrent que de tels faits relèvent de la compétence du juge.

Les nouvelles attributions du Conseil de la concurrence l’ont désormais hissé au rang d’autorité de régulation (www.lavieeco.com). Et si le problème du conflit de compétence avec les régulateurs sectoriels a été plus ou moins réglé, c’est sur les plates-bandes des juridictions étatiques que le Conseil de la concurrence risque de marcher. En effet, la Constitution (art.166) donne au conseil la possibilité de statuer sur les questions relatives aux «pratiques commerciales déloyales». Définies comme étant des pratiques non conformes aux usages et à l’éthique, la question est de savoir si le conseil est habilité à statuer sur de telles questions. Amal Lamnai, juge et conseillère du ministre de la justice et des libertés, estime que cette problématique dépasse le simple droit de la concurrence et s’étend à la protection du consommateur. Elle dit clairement que «le conseil n’a pas vocation à être saisi de ces affaires, car la protection du consommateur, pour être effective, devrait être du ressort des juridictions».
Une approche «marché» pour contourner le vide juridique
Un vide juridique que ni la nouvelle loi sur le Conseil de la concurrence, ni son décret d’application n’ont clairement comblé. Face aux plaintes «impertinentes» dont il est saisi, le conseil a pris l’initiative, en l’absence de dispositions claires dans ce domaine, de faire le ménage. Ainsi, les pratiques anticoncurrentielles à dimension macroéconomiques relèvent du conseil, alors que celles d’ordre microéconomique sont de la compétence des juridictions. Le conseil de la concurrence se réserve donc l’approche «marché». «Le Conseil de la concurrence exerce une action répressive à l’encontre des pratiques anticoncurrentielles et intervient, de sa propre initiative ou à la demande de plaignants, dès que la concurrence est faussée sur un marché, quels que soient l’activité concernée ou le statut, privé ou public, des opérateurs. Il n’a en revanche pas vocation à réprimer les pratiques commerciales déloyales, qui relèvent de la compétence du juge judiciaire», explique Mohamed Mernissi, membre du conseil. Et d’ajouter : «La concurrence déloyale entre entreprises n’est pas une infraction au droit de la concurrence car elle ne concerne pas le comportement d’une entreprise sur un marché, mais le manquement d’une entreprise à une concurrence loyale envers une autre entreprise. Le conseil n’a donc pas vocation à connaître des pratiques commerciales jugées pernicieuses ou déloyales, qui relèvent de la compétence du juge judiciaire ou du tribunal de commerce».
Une relation contractuelle est régie par le code civil
Cette ambiguïté risque de subsister malgré cette répartition tacite des pouvoirs. «Le Conseil de la concurrence peut également trancher sur des relations bilatérales, qui sont en principe du ressort des juridictions», explique Mohamed Belhoussein, avocat au barreau de Rabat. Il s’agit en fait de «l’abus de dépendance économique», prévue comme étant une infraction au droit de la concurrence, donc du ressort du conseil. Or, celui-ci va statuer sur une relation contractuelle, régie par le code civil (DOC). Cette infraction résulte en réalité de «l’impossibilité dans laquelle se trouve une entreprise de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées, soit en qualité de client, soit en qualité de fournisseur, avec une autre entreprise», poursuit Me Belhoussein, qui précise que le pouvoir de statuer sur de telles infractions est, en France, dévolu aux tribunaux…
[tabs][tab title = »L’efficacité de la réforme se fait attendre« ]L’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur le Conseil de la concurrence n’a finalement pas été le séisme promis par ceux qui l’ont portée. Dès la publication du décret d’application, les espoirs se sont éteints. Désignation des enquêteurs par le chef du gouvernement, dévolution des sanctions au gouvernement, seuils d’intervention trop élevés pour le contrôle des concentrations… Les pouvoirs de «l’autorité» de la concurrence semblent de plus en plus limités, si l’on y ajoute les accommodations trouvées avec les régulateurs sectoriels (ANRT et Bank Al-Maghrib). Et pour ne rien arranger, le conseil en lui-même est mis en veilleuse, en attendant la nomination de ses nouveaux membres. A ce jour, 10 dossiers ont été instruits et attendent un avis, 5sont en instance et 5 dossiers de contrôle des concentrations sont en souffrance.[/tab][/tabs]
