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Protection du consommateur : hausse significative des plaintes validées par les tribunaux

Les tribunaux insistent sur le devoir d’information des opérateurs. La jurisprudence se montre exigeante envers le vendeur professionnel. La Cour de cassation confirme l’exclusion du crédit-bail du champ d’application de la loi.

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Malgré ses déficiences, la loi 31/08 sur la protection du consommateur s’impose dans le monde judiciaire. En 2016, près de 1 500 plaintes ont été enregistrées par les tribunaux dont 359 acceptées. Une hausse significative puisque seulement 155 plaintes ont été validées par les juges une année plus tôt. Si les chiffres judiciaires ne précisent pas les secteurs concernés, les différentes associations de consommateurs, ainsi que le portail de recueil de plaintes du ministère du commerce «Khidmat Al Moustahlik», recensent trois secteurs : l’immobilier, les télécoms et la grande distribution. Mais selon Bouazza Kherrati, président de la Fédération nationale de protection des consommateurs, d’autres secteurs font de plus en plus l’objet de requêtes, comme celui de l’automobile. «Quel que soit le secteur concerné, lorsque les juges acceptent les requêtes des particuliers, ces derniers obtiennent souvent gain de cause. En plus des clauses abusives, les grands opérateurs sont souvent condamnés pour avoir enfreint l’obligation d’information», indique Ahmed Taouh, avocat à la Cour.

Le vendeur professionnel est tenu de s’informer de l’usage de la chose à céder

En réalité, les juges sont allés plus loin que l’article 3 du code du consommateur qui édicte que «tout fournisseur doit mettre, par tout moyen approprié, le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du produit, du bien ou du service (…) et lui fournir les renseignements susceptibles de lui permettre de faire un choix rationnel». Ils imposent désormais une obligation pré-contractuelle. Si l’acheteur est profane, le vendeur professionnel doit, pour remplir son obligation d’information, s’informer de l’usage auquel l’acheteur entend employer la chose. En effet, selon la Cour de cassation «tout vendeur d’un matériel doit, afin que la vente soit conclue en connaissance de cause, s’informer des besoins de son acheteur et informer ensuite celui-ci des contraintes techniques de la chose vendue et de son aptitude à atteindre le but recherché». La Cour d’appel de Casablanca considère également que «commet une faute, le fabricant qui ne s’est pas renseigné auprès de son client sur l’usage auquel celui-ci destinait les produits dont la fabrication lui était commandée». En fait, plus le bien vendu est technique, plus la jurisprudence se montre exigeante envers le vendeur professionnel et impose, au-delà du simple devoir d’information, un devoir de conseil.

En effet, selon la Cour de cassation, «l’obligation de conseil à laquelle est tenu le vendeur lui impose de s’informer des besoins de l’acheteur et d’informer son client de l’aptitude du matériel proposé à l’utilisation qui en est prévue». Ainsi, après s’être informé des besoins de l’acheteur, le vendeur doit donner des conseils pour son acquisition et son utilisation et permettre à l’acheteur de déterminer si le bien est adapté ou non à ses besoins et à la fin à laquelle il le destine. Selon le tribunal de première instance de Fès, «manque à son obligation de conseil, le vendeur d’un matériel téléphonique qui omet de s’informer des besoins de l’acheteur et de l’informer de l’aptitude du matériel proposé à l’utilisation qui en est prévue». En outre, il appartient au vendeur d’établir, par tous moyens, la preuve de ce qu’il a rempli son obligation d’information. En effet, selon la Cour de cassation, «celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation».

La spécialisation, facteur important dans la définition de la notion de non-professionnel

Cependant, cette approche extensive de la loi ne s’applique pas à tous les domaines. Ainsi, le contrat de crédit-bail entre une entreprise et un établissement de crédit a été exclu définitivement du champ d’application du texte. Après la décision de la Cour d’appel en 2015, la Cour de cassation est allée dans le sens des juges du fond en considérant le consommateur au sens de l’article 2 de la loi précitée comme étant «toute personne physique ou morale qui acquiert ou utilise pour la satisfaction de ses besoins non professionnels des produits, biens ou services qui sont destinés à son usage personnel ou familial». Autrement dit, le consommateur est, selon la Cour, celui qui acquiert ou utilise le bien consommé meuble ou immeuble à son usage personnel et non professionnel. Or, «si un professionnel contracte avec un autre professionnel pour acquérir un bien ou un service, il est censé bénéficier du dispositif de protection face au vendeur ou au prestataire de service. Car le professionnel “demandeur” ne se situe pas dans la sphère d’activité qui est habituellement la sienne dans le cadre de sa profession», indique le juriste Mohamed Koudane. Ainsi, le critère lié à la spécialisation semble être un facteur important dans la définition de la notion de non-professionnel. Pour plusieurs juristes, il y a une réelle nécessité d’extension de la notion. La qualité de personne morale n’est qu’un moyen simpliste de présumer la compétence technique. Or, c’est cette compétence technique qui doit être le véritable support des clauses limitatives de responsabilité. Néanmoins, un autre courant, dont les magistrats notamment, estime qu’il «est louable de vouloir protéger le professionnel qui peut être dans le même état d’ignorance que le consommateur. Mais à l’inverse, pourquoi continuer à protéger un consommateur qui dispose d’un niveau de compétences équivalent à celui de son cocontractant, voire supérieur?».