SUIVEZ-NOUS

Affaires

Profession, huissier de justice

La profession ne jouit pas d’une bonne réputation auprès des justiciables. Paradoxalement, l’huissier est souvent en première ligne en matière de conciliation et de règlement à l’amiable. Le gros des revenus est assuré par les mandats des compagnies d’assurances et des banques.

Publié le


Mis à jour le

Professionhuissier de justice

Craint, détesté, parfois même raillé, l’huissier est l’enfant maudit du monde judiciaire. Vu comme un oiseau de mauvais augure, il est rarement le bienvenu chez les justiciables. «L’huissier de justice est obligé d’exécuter une décision du tribunal, aussi pénible soit-elle. Il est vrai que les mesures d’expulsion par exemple sont extrêmement difficiles à entreprendre. Le tout est de bien s’y prendre», explique Said Monjid, huissier de justice à Casablanca que La Vie éco a suivi lors de quelques visites chez des débiteurs défaillants.

Le premier, chez qui notre homme s’est pointé à 9h30 du matin, était un locataire défaillant en procédure d’expulsion ; le second, un redevable de 15 000 DH de frais de syndic. Deux visites qui se sont relativement bien passées puisque les concernés se sont manifestés et ont acquiescé à la convocation judiciaire. «Le métier d’huissier de justice ne consiste pas seulement à expulser un locataire ou à procéder à des saisies mobilières. Notre principale tâche est, selon des formes très précises prévues par la loi, d’inviter les justiciables à se présenter devant un tribunal. Il peut aussi nous arriver de réaliser simplement des constats, comme une inondation dans une maison», ajoute Me Monjid.

Pédagogie et ressources psychologiques pour déminer le terrain

Institution héritée du droit français, l’huissier de justice jouit d’une tout aussi mauvaise réputation un peu partout dans le monde. Symbolisé dans la culture populaire (cinéma, télévision…) comme le serviteur aigri de l’injustice de la société libérale, la réalité en est souvent tout autre. En effet, s’il y a procédure de conciliation en matière de défaillance contractuelle (rééchelonnement, apurement du passif…), l’huissier est souvent la première issue de secours des débiteurs sous pression. Il doit donc user de la pédagogie et disposer de ressources psychologiques, comme l’explique Abdeslam Manahi. «Nous ne pouvons nous présenter chez qui que ce soit manu militari sans expliquer les motivations de notre présence et les conditions dans lesquelles nous devons exercer notre tâche. Bien souvent, notre intervention est comprise malgré les multiples tracas que cette situation peut générer. En expliquant aux personnes ce qui peut leur arriver, nous arrivons toujours à les amener à trouver une solution. Des situations extrêmes sont toujours évitables avec de la bonne volonté».

Sauf que dans certains cas, les concernés sont absents (ou le prétendent) et notre homme est obligé de rebrousser chemin. Un autre mandat est alors nécessaire pour qu’il se déplace de nouveau. Une problématique récurrente qui contribue fortement aux retards de notification, l’une des plaies les plus profondes du système judiciaire marocain. Cette question est d’ailleurs l’objet de certaines frictions entre magistrats et huissiers, les premiers reprochant aux seconds un certain laxisme. En effet, l’huissier participe rarement aux investigations judiciaires relatives aux domiciles d’un justiciable. Il oblige par conséquent les plaignants et leurs avocats à se débrouiller seuls.

En outre, les huissiers de justice sont souvent critiqués, à l’image des experts judiciaires, du fait de leur «double allégeance». Pouvant à la fois être mandatés par des particuliers, par des entreprises et par le tribunal, les risques de conflits d’intérêts restent assez élevés.

Une profession sous le contrôle du président du tribunal

D’un point de vue réglementaire, l’huissier de justice a des liens de subordination vis-à-vis du juge beaucoup plus poussés que l’expert. Si la loi 81-03 portant organisation de la profession en parle comme une «profession libérale» (art. 1), l’huissier de justice n’en demeure pas moins «sous le contrôle du président du tribunal» (art.16). D’autant qu’il est tenu à un formalisme strict puisqu’il doit, dans un délai maximum de dix jours à compter de la réception de la demande d’exécution, notifier à la partie condamnée le jugement qu’il est chargé d’exécuter, la mettre en demeure pour acquitter sa dette ou lui faire connaître ses intentions. L’huissier est, en outre, tenu de dresser un procès-verbal d’exécution ou préciser les causes empêchant sa réalisation, dans un délai de vingt jours à compter de la date d’expiration du délai de la mise en demeure… Le contrôle de la profession est d’ailleurs confié à la magistrature. Ce contrôle «a pour objet de vérifier notamment les formalités des actes et leur accomplissement dans les délais ainsi que la régularité des manipulations des valeurs et biens auxquels a procédé l’huissier de justice. Lorsque le président de la juridiction constate, lors de son contrôle, des manquements aux obligations professionnelles, il dresse un rapport à cet égard et le soumet au ministère public», explique un magistrat du tribunal de première instance.

Dans ce quotidien fait de paperasse et de procédures alambiquées, les huissiers de justice s’organisent en études et sont rarement seuls. Ils s’entourent souvent de stagiaires en formation. A Casablanca, la majorité des études sont adjacentes au tribunal de première instance, boulevard Hassan II. Leurs revenus mensuels vont de 30 000 à 80000 DH. Ils sont largement assurés par les mandats des compagnies d’assurances et des banques. Néanmoins, la profession est de moins en moins attrayante, le nombre de candidats aux concours se réduisant d’année en année, notamment en raison des critères d’admission. Depuis 2006, pour devenir huissier, il faut être licencié ou docteur en droit. Par le passé, il suffisait de réussir l’examen et d’effectuer un stage dans une étude d’huissier. Et cela ne suffit pas. Le candidat doit être âgé d’au moins 25 ans et disposer d’un certificat de moralité et de bonne conduite délivré par son administration communale.