Affaires
Plus de 7 000 abus de biens sociaux qualifiés par les tribunaux en 4 ans !
Le nombre de cas a augmenté de 20% par année entre 2012 et 2015. Deux textes répriment l’infraction, mais l’absence de définition de «l’intérêt social» la rend difficilement caractérisable. La grande difficulté demeure la preuve de la mauvaise foi.

Comme chacun le sait, le patrimoine d’une société commerciale est distinct de celui de ses dirigeants. Mais cette nuance n’est pas respectée par tout le monde. Entre 2012 et 2015, les tribunaux correctionnels du Maroc ont qualifié plus de 7 000 abus de bien sociaux, avec une évolution moyenne de 20% par année. «La plupart des poursuites pour abus de biens sociaux sont engagées sur dénonciation de l’un des associés suite à l’encaissement d’un chèque de produit de vente dans le compte personnel d’un autre associés», explique un procureur du tribunal correctionnel de Casablanca. «Toutefois, ladite dénonciation ne permet pas à l’associé de se constituer personnellement partie civile pour obtenir réparation du préjudice. En revanche, il a la possibilité d’agir pour le compte de la société victime, dans le cadre de l’action sociale», précise-t-il.
Deux textes punissent l’abus de bien social en droit marocain. Il y a d’abord l’article 107 de la loi 5-96 sur la SARL, la SNC, la SCS, SCA et la SP qui énonce que «seront punis d’un emprisonnement de un à six mois et d’une amende de 10 000 à 100 000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement, les gérants de sociétés qui, de mauvaise foi, auront fait, des pouvoirs qu’ils possèdent ou des voix dont ils disposent, en cette qualité, un usage qu’ils savent contraire aux intérêts économiques de la société, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement».
La confusion de patrimoines ou l’emprunt de fonds sociaux pour un usage personnel sont les cas les plus fréquents
Le second texte est celui relatif à la société anonyme, et plus précisément l’article 384 de la loi 17.95, qui vise les membres des organes d’administration, de direction ou de gestion d’une société anonyme. Ces derniers encourent une peine d’emprisonnement allant de un à six mois et une amende de 100 000 à 1 million de dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement s’ils se sont rendu coupables de la même infraction. La jurisprudence des tribunaux correctionnels ainsi que de la Chambre pénale de la Cour de cassation relèvent plusieurs types de qualification de l’infraction. Mais les plus récurrentes demeurent celles résultant d’une confusion de patrimoines, même temporaire, ou d’un emprunt de fonds sociaux pour régler des dettes personnelles. «S’il n’existe aucune définition légale ni jurisprudentielle de la notion d’intérêt social, les juges distinguent néanmoins l’intérêt social de l’intérêt des associés ou de l’objet social de la société», explique Ahmed Taouh, avocat à la Cour, spécialiste en droit pénal des affaires. En revanche, les conséquences d’un acte contraire à l’intérêt de la société sont, elles, plus facilement identifiables. La Cour de cassation considère qu’«il suffit que l’acte ait abouti à des pertes ou même qu’il ait comporté des risques de pertes auxquels l’actif social n’avait pas à être exposé».
Seule une action pour abus de bien social sur trois aboutit
Mais l’élément intentionnel demeure le plus important à caractériser et, selon les magistrats contactés, seule une action pour «abus de bien social» sur trois aboutit. En effet, le dirigeant doit avoir agi de mauvaise foi en sachant que l’acte était contraire à l’intérêt de la société et cela à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle les dirigeants étaient intéressés directement ou indirectement. D’autant qu’aucune présomption n’existe et que la charge de la preuve incombe à l’accusation. Ainsi, la jurisprudence constante en la matière indique que même si les auteurs de la plainte font état d’une dépense émise par une société pour rémunérer le dirigeant d’une autre société, cela n’est pas suffisant pour constituer un abus de biens sociaux, l’accusation doit en effet préciser en quoi le dirigeant «poursuivait un intérêt personnel à cette opération ou aurait eu un intérêt, direct ou indirect, dans la société». Cependant, les juges renversent parfois la charge de la preuve et demandent au dirigeant de prouver qu’il n’avait pas agi dans son intérêt personnel s’il existe des actes présumés effectués dans l’intérêt personnel du dirigeant. Il a ainsi été jugé que «s’il n’est pas justifié qu’ils ont été utilisés dans le seul intérêt de la société, les fonds sociaux, prélevés de manière occulte par un dirigeant social, l’ont nécessairement été dans son intérêt personnel».
