Affaires
Les biens immobiliers ayant fait l’objet d’une donation peuvent être saisis
La donation n’est pas annulée, mais le gage doit être réintégré par le conservateur sur le titre foncier. La fraude et la mauvaise foi sont présumées dès lors que la donation est postérieure à l’engagement objet d’un litige.

Faire donation de ses biens alors qu’on vient de contracter une dette ou de se porter caution n’est plus une opération définitive et irrévocable. En effet, dans trois arrêts rendus respectivement en juin, septembre et octobre 2014, la Cour de cassation a considéré (dans 3 affaires similaires de «dissimulation») que «la donation est inopposable aux créanciers (…) par le fait que [le débiteur ou la caution], en acceptant de consentir cet engagement, a placé l’ensemble de ses biens en gage de son créancier. En faisant donation de son bien immobilier à ses enfants après la signature de l’acte de cautionnement, il a préjudicié aux droits de son créancier puisque, en disposant de son bien, il a appauvri son patrimoine qui constitue le gage commun de ses créanciers».
Ainsi, les biens immobiliers ayant fait l’objet d’une donation de la part d’un débiteur ou d’une caution peuvent être saisis même s’ils passent sous la propriété d’un tiers. C’est ce que les spécialistes du droit appellent l’action paulienne.
C’est «une arme efficace contre la fraude du débiteur et permet la protection du créancier. Il n’existe pas en droit marocain de texte spécifique réglementant l’action paulienne, à l’inverse du droit français qui l’a expressément prévu», explique Mohamed Koudane, juriste et professeur de droit.
Selon le dahir des obligations et des contrats, les créanciers peuvent, en principe, saisir tous les biens de leur débiteur, lorsque ce dernier n’exécute pas ses obligations. Mais, on pouvait craindre qu’un débiteur insolvable ne s’abstienne à exécuter ses engagements. «Cette abstention pouvait nuire à ses créanciers. Le débiteur pouvait passer des actes frauduleux avec autrui afin de priver le créancier de saisir les biens qui lui appartenaient et vider ainsi son patrimoine. Si le débiteur n’exécute pas son obligation, le créancier peut saisir et faire vendre les biens figurant dans le patrimoine de ce dernier, mais il ne peut aller rechercher ceux qui ont été donnés ou aliénés auparavant, car il n’a pas de droit de suite», développe le juriste Brahim Slaoui, docteur en droit. Mais désormais, les créanciers chirographaires disposent d’une action qui leur permet d’attaquer les actes passés par le débiteur en fraude de leurs droits. Elle permet de supprimer le dommage subi par un créancier, victime de la fraude de son débiteur, en rétablissant à son égard la situation antérieure.
La preuve de la bonne foi du bénéficiaire n’est pas susceptible de faire échec à la saisie
La jurisprudence marocaine se fondant sur la simulation -conformément aux articles 1241 et 26 du DOC- a considéré que les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes effectués par leur débiteur en fraude de leurs droits. La fraude et la mauvaise foi sont présumées dès lors que l’acte est consenti postérieurement à un acte de cautionnement, le débiteur ayant conscience du préjudice causé à son créancier par l’acte litigieux. Lorsqu’il s’agit d’un acte à titre gratuit, comme c’est le cas dans les trois affaires citées, la preuve de la complicité du bénéficiaire n’est pas nécessaire et la preuve de sa bonne foi n’est pas susceptible de faire échec à l’action.
En l’espèce, un débiteur, en consentant à ses deux enfants majeurs une donation portant sur une propriété immobilière, ne pouvait ignorer le préjudice que la donation litigieuse causait à son créancier. Car cette donation conduit nécessairement à un appauvrissement de son patrimoine qui devenait alors insuffisant pour permettre le règlement des sommes dont il était redevable.
«La fraude paulienne étant établie, la donation n’est pas annulée, mais rendue inopposable au créancier poursuivant. Le conservateur de la propriété foncière devra par conséquent remettre les choses en l’état en réinscrivant le gage, le créancier pourra ainsi faire pratiquer une saisie sur le bien et en solliciter la vente aux enchères pour recouvrer sa créance», conclut la motivation des magistrats de la Cour.
Cependant, le recours à ce «remède miracle contre la dissimulation» n’est pas automatique. Outre le fait que la créance invoquée doit être antérieure à la cession, il faut, pour que l’action soit recevable, qu’il y ait appauvrissement du débiteur, car si celui-ci dispose d’un patrimoine lui permettant de désintéresser le créancier, ce dernier ne peut plus remettre en cause la donation. En second lieu, l’action paulienne est subordonnée à la preuve de la fraude du débiteur.
Le tiers –le bénéficiaire de la donation- doit restituer le bien en nature s’il existe, ou fournir l’équivalent. La restitution n’a lieu qu’à concurrence de la créance. Dès lors, si la vente sur saisie donne une somme supérieure à la créance, le reliquat revient au tiers acquéreur.
