Affaires
Les actionnaires minoritaires veulent se faire entendre
Sur 1 068 conflits entre actionnaires recensés en 2015 par les magistrats, 653 concernent des plaintes de minoritaires. Les juges se contentent d’annuler les décisions litigieuses et d’accorder des dommages-intérêts.

Bien qu’il ne fasse l’objet d’aucune définition légale, «l’intérêt social» d’une entreprise est utilisé à de nombreuses reprises par les juges qui en font un critère de référence, notamment en matière de responsabilité des dirigeants. Dans le cadre du conflit entre actionnaires, il fait office de garde-fou contre les abus des actionnaires majoritaires. Et même si la loi a donné aux actionnaires minoritaires des boucliers préventifs, tels quel le droit d’information comptable et financière, l’accès aux assemblées, «cette égalité en droit n’est qu’une apparence puisque, dans la pratique, c’est la majorité qui impose sa volonté, même au préjudice des droits des actionnaires minoritaires», explique Mohamed Mernissi, juriste et professeur en droit. «En général, ces derniers n’exercent pas pleinement leurs droits et se contentent d’assister aux assemblées générales et d’encaisser leurs dividendes normalement, parce qu’ils n’ont pas d’autre choix que de suivre les décisions de la majorité, sauf si ces dernières sont arbitraires et peuvent être nuisibles à la société», précise-t-il.
La loi a donc permis aux actionnaires minoritaires de saisir la justice pour faire valoir leurs droits, et ils ont à cet égard la possibilité de s’adresser au juge des référés en cas d’urgence. Et si la jurisprudence de ces questions a longtemps été peu consistante, les chiffres des tribunaux de commerce commencent à montrer une «prise de conscience» des minoritaires. Ainsi, en 2015, sur les 1 068 conflits entre actionnaires recensés par les magistrats, 653 concernent des plaintes d’actionnaires minoritaires. Un phénomène auquel les juges répondent de manière ‘‘passive’’, prononçant au mieux une annulation de la décision litigieuse prise par la majorité, ainsi que des dommages-intérêts. Mais si les tribunaux sont réticents à imposer une certaine façon d’agir contre la volonté de la majorité, ils ont la possibilité de le faire indirectement moyennant la nomination d’un administrateur provisoire ou d’un administrateur ad hoc.
L’immixtion du juge dans les affaires de la société très critiquée par les praticiens du droit
Quoi qu’il en soit, les minoritaires ont de plus en plus accès aux juges, notamment lorsqu’il existe un danger imminent dont la survenance affectera sérieusement la société ou une catégorie d’actionnaires. Toutefois, le recours demeure subordonné à l’existence d’un intérêt et, assez souvent, à la détention d’une certaine quotité représentative de sa participation au capital social.
L’immixtion du juge dans les affaires de la société reste très critiquée par les praticiens du droit, notamment les avocats d’affaires. «Les juges n’ayant pas une formation de gestionnaires, d’entrepreneurs ou d’économistes, il leur serait assez difficile de se prononcer sur l’utilité d’une décision pour la société, ou encore de contrôler la conformité des comptes aux exigences légales et à la réalité de la situation financière et technique de la société», fait remarquer Ahmed Taouh, avocat à la Cour.
Outre les abus de majorité, les actions en nullité des décisions prises par l’un des dirigeants sont les plus récurrentes (achats de marchandises, contrats de bail…). Dans la majorité des cas, lorsque le conflit bloque le fonctionnement de la société, les juges prononcent la dissolution anticipée.
