Le Maroc, paré pour la bataille de l’hydrogène vert

La task force est à pied d’œuvre pour accoucher d’une Offre Maroc, devant être l’une des plus compétitives au monde. Les leaders mondiaux du secteur placent leurs pions. La course est lancée.

Dernière ligne droite pour lever le voile sur l’Offre Maroc dans l’hydrogène vert. Au ministère de la Transition énergétique et du développement durable, c’est la course contre la montre pour une annonce imminente, «dans les prochaines semaines», nous confie une source au département de Leila Benali, ayant requis l’anonymat. «C’est le branle-bas. La task force tient des réunions au siège du ministère chaque semaine, durant des heures. Nous sommes au niveau de la finalisation de l’offre et on sent qu’il y a une véritable volonté d’accélérer la cadence pour annoncer très rapidement les détails de l’offre marocaine, qui promet d’être l’une des plus compétitives au monde», précise notre source.
Le gouvernement a ainsi appuyé sur l’accélérateur, trois mois après l’appel royal pour une mise en place d’une Offre Maroc dans le domaine de l’hydrogène vert. Une performance, lorsqu’on sait que d’autres pays ont mis beaucoup plus de temps pour finaliser leur modèle. Et pour cause, le Maroc ne veut pas perdre de temps et ambitionne de se positionner rapidement par rapport à cette énergie verte du futur, face à des concurrents régionaux de taille comme l’Arabie saoudite et l’Égypte. Si rien ne filtre à propos de cette offre, on sait à ce stade qu’il s’agira d’un modèle innovant et intégré qui sera proposé aux investisseurs. Et pas question de brader pour attirer les grands du secteur.
«On ne va pas sacrifier le terrain et les régions. Bien au contraire, nous allons allouer des avantages à des consortiums qui vont encourager le développement industriel et qui vont contribuer à la création de l’emploi dans des régions vulnérables. Il s’agit d’une relation win-win. Nous allons offrir un cadre très propice, mais nous allons prioriser les projets qui vont contribuer au développement local et industriel, et qui vont proposer des modèles intéressants pour la production de l’électricité à bas coût», nous précise une source très proche du dossier. En tout état de cause, il ne reste plus que quelques semaines avant que le Maroc ne présente enfin son offre, au plus tard dans «deux mois», c’est-à-dire entre fin avril et début mai.

Prudence oblige, mutisme autour de l’Offre Maroc
Pour le moment, c’est l’omerta sur les détails concrets de la proposition marocaine. «Nous ne pouvons pas vous parler de ce sujet. Nous n’avons pas reçu de consignes dans ce sens, mais on ne peut pas…», nous répond un grand organisme public qui fait partie de la commission chargée de ce dossier.
Une discrétion qui s’explique par la forte concurrence dans ce secteur d’avenir. Et le Maroc reste sur ses gardes pour s’attaquer efficacement mais rapidement à cette nouvelle source d’énergie et accaparer une part substantielle du gâteau. Toutefois, le temps presse et les investisseurs potentiels attendent impatiemment l’éclosion de la proposition marocaine, dont l’état d’avancement est suivi par la plus haute autorité du pays.
De grands acteurs mondiaux du secteur énergétique, notamment européens et des pays du Golfe, scrutent actuellement ce dossier et placent leurs pions pour bénéficier des avantages de la nouvelle charte liée à l’hydrogène vert. Si on se bouscule au portillon, c’est que «le premier arrivé est le premier servi», affirme Ismail Akalay, DG de Sonasid, le sidérurgiste prévoyant d’intégrer l’hydrogène vert dans son mix énergétique. Ceci dit, trois principaux sites sont actuellement définis, selon nos informations : Guelmim, Laâyoune et Dakhla. Ces sites proposent des atouts indéniables en termes de production d’énergie renouvelable, notamment le solaire, sans parler des stations de dessalement d’eau de mer prévues dans cette partie du Maroc. Car il faut savoir que l’hydrogène vert doit être produit à partir d’énergie verte, en plus d’une disponibilité importante de ressources hydriques.

Les ambitions de Taqa, Acwa Power…
«Le Maroc nous intéresse fortement. Le groupe Taqa a de l’appétit pour un investissement de taille dans l’hydrogène vert au Maroc. Ça, c’est sûr. Maintenant, je ne peux pas vous dévoiler les détails de notre projet. On en parlera peut-être le 7 mars prochain lors d’une conférence de presse que nous allons organiser au Maroc», nous précise, sous couvert d’anonymat, un haut responsable de Taqa, holding spécialisé dans les énergies, détenu à hauteur de 75% par les Émirats arabes unis.
Le Groupe, grâce à sa filiale marocaine, est un partenaire de longue date du Maroc. Il fournit près de 40% de la demande nationale d’électricité à 15 millions de Marocains. Depuis 1997, Taqa Morocco a investi pas moins de 30 milliards de dirhams dans le pays. Des investissements qui devront se renforcer grâce à ses projets dans l’hydrogène vert. «Le Maroc occupe une place de choix dans notre prochain portefeuille de projets dans l’hydrogène vert. Le pays dispose du taux d’ensoleillement le plus élevé du pourtour méditerranéen et d’une proximité géographique avec l’Europe, un continent vers lequel on pourrait exporter notre énergie. Maintenant, il faudra bien préparer le terrain, notamment législatif, pour qu’on puisse disposer de plus de visibilité», déclare notre interlocuteur chez Taqa.
Même appétit chez un autre opérateur du Golfe. Contacté par La Vie éco, Badis Derradji, Executive Vice-Président, Portfolio Management d’Africa Acwa Power, nous précise que le groupe saoudien est déjà en négociation pour l’établissement d’un grand projet de production d’hydrogène vert au Maroc, mais tout dépendra de la qualité de l’Offre Maroc et du cadre législatif, selon lui. «Acwa Power prospecte plusieurs marchés pour la production de l’hydrogène vert. Le Maroc figure parmi nos marchés prioritaires. Nous attendons, comme tous les autres acteurs, la proposition du Maroc pour commencer à travailler sérieusement sur notre projet», souligne le responsable d’Acwa Power.
Le groupe saoudien ne compte toutefois pas devenir qu’un simple acteur dans ce domaine au Maroc. Il prévoit de lancer une «copie» du Neom Green Hydrogen Project, nous lance, en exclusivité, Badis Derradji. L’annonce est de taille, le projet Neom étant en effet aujourd’hui la plus grande installation commerciale d’hydrogène à grande échelle au monde, entièrement alimentée par des énergies renouvelables. Le projet, situé en Arabie saoudite, a nécessité
5 milliards de dollars d’investissement, en plus de 2 milliards pour l’infrastructure de distribution. «Lors de sa mise en service en 2026, il produira 600 tonnes d’hydrogène propre par jour, par électrolyse grâce à la technologie thyssenkrupp, la production d’azote par séparation de l’air grâce à la technologie Air Products et la production de jusqu’à 1,2 million de tonnes par an d’ammoniac vert», lit-on dans la présentation du projet sur le site web d’Acwa Power. D’ailleurs, la station devra alimenter le projet futuriste Neom qui nécessitera, lui, 500 milliards de dollars.

Les grands du secteur se bousculent au portillon
Non loin des bureaux d’Acwa Power à Riyad se trouve le siège de Sabic, l’un des leaders de la Chimie au monde et qui a développé plusieurs projets d’hydrogène vert. Le groupe saoudien aurait également des visées sur le marché marocain, selon nos sources. Contacté par nos soins, Ibrahim Al Hammad, chargé des Affaires internationales du Groupe, n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations concernant la consistance de ces ambitions. Discrétion oblige, l’ancien DG de Sabic Morocco & West Africa, de 2017 à 2021, joue la prudence, les enjeux étant énormes à ce stade de la prospection.
Une chose est sûre, le Maroc tient en haleine le gotha mondial de l’énergie. Les investisseurs et les fournisseurs de technologies dites propres sont dans les starting-blocks pour prendre part à cette nouvelle aventure marocaine dans l’hydrogène vert. Et l’enjeu est de taille, lorsqu’on sait que le marché européen, proie à des difficultés majeures en termes d’approvisionnement en énergie à cause de la guerre russo-ukrainienne, peut être facilement servi depuis le Maroc. De plus, le Royaume bénéficie de tous les ingrédients pour contrecarrer notamment la concurrence égyptienne sur ce marché. Ses atouts naturels, son taux d’ensoleillement, sa stratégie visionnaire dans les énergies renouvelables, sa nouvelle Charte de l’investissement, ses projets grandioses dans le dessalement d’eau de mer… sont autant d’ingrédients indispensables à la production de l’hydrogène vert à des prix compétitifs.
«Effectivement, plusieurs consortiums marocains et étrangers se positionnent aujourd’hui. Au Sud du Maroc, ils sont en discussion avec les Centres régionaux d’investissement (CRI) pour réserver des terrains et pour pouvoir concevoir et développer rapidement leurs projets, dès qu’ils ont de la visibilité en matière d’offre marocaine», souligne Badr Ikken. Le président exécutif de Green Innov Industry Investment se réjouit, par ailleurs, de la taille des projets très capitalistiques qui sortiront de terre. «On parle de projets de grande taille d’une capacité de 2 à 10 GW. C’est ambitieux et énorme, d’où l’importance de sortir les schémas directeurs des infrastructures et l’identification des sites adaptés à ces projets», poursuit-il.

Les challenges qui attendent le Maroc
Ce sont là deux des nombreuses missions sur lesquelles s’attelle actuellement la task force de l’hydrogène vert, nous confie notre source au ministère de la Transition énergétique. En plus des groupes privés, le Maroc a entamé plusieurs échanges et des coopérations internationales avec d’autres pays désireux d’accompagner le Royaume dans cette stratégie. Les Danois et les Allemands sont, pour le moment, les plus dynamiques sur ce registre.
L’offre marocaine devrait, par ailleurs, répondre à plusieurs défis liés notamment au transport de l’énergie issue de l’hydrogène vert, son stockage, l’infrastructure, l’identification des sites et leur cartographie, la création d’un écosystème industriel, la réglementation et le coût de production. Les deux derniers points sont, de l’avis de plusieurs observateurs, décisifs et feront toute la différence. «En matière législative, le gouvernement a pu sortir plusieurs textes et a amendé plusieurs lois liées aux énergies renouvelables. Les lois 13-09 et 40-19 en sont le meilleur exemple. Maintenant, c’est vrai qu’il reste les textes d’application, mais je pense qu’ils seront publiés incessamment, car l’offre marocaine ne serait pas forte sans ces textes d’application», précise notre source au département de la Transition énergétique.
Concernant les coûts de production, même si le Maroc dispose de plusieurs avantages comparatifs, il reste du chemin à faire pour attirer davantage d’investisseurs. Actuellement, le prix du kWh, produit à partir de l’énergie solaire, avoisine les 30 centimes.
Ce qui reste un peu cher pour rendre la filière de l’hydrogène vert compétitive. Mais, «en attendant que les sites de production sortent de terre, ce coût sera inférieur aux niveaux actuels. D’ici 5 ans maximum, nous nous situerons au-dessous de 20 centimes le kWh. Là, on pourrait vraiment dire que le Maroc est une véritable destination compétitive», lance Ikken.

Une révolution énergétique en marche
Ce qu’il faut savoir c’est que dans le coût de production de l’hydrogène vert, plusieurs éléments jouent en faveur du Maroc. Le pays jouit d’un gisement important en énergies éolienne et solaire, produites 24h/24. Une particularité que très peu de pays peuvent proposer. De même, le Maroc pourrait activer plusieurs leviers comme les subventions. En Allemagne, par exemple, les autorités ont mis en place un programme baptisé H2Global, qui propose des subventions intéressantes sur une dizaine d’années. L’Union européenne devra, de son côté, subventionner le kérosène synthétique à partir de 2030.
«Le marché de l’hydrogène vert est en train de voir le jour. On parle de moyen terme. Ce n’est qu’à partir de 2030 qu’on aura atteint une parité réseau et qu’on sentira les réels avantages de cette énergie», martèle Ikken. Rappelons que la parité réseau correspond à la situation dans laquelle le prix des énergies renouvelables électriques s’abaisse au-dessous de celui du marché de l’électricité des énergies conventionnelles. Pour atteindre ce niveau, le Maroc devra monter en puissance et se préparer aux premières productions d’hydrogène vert à court terme.
Les infrastructures joueront également un rôle important dans le calcul du coût global, notamment via l’adaptation des ports du sud du Maroc. Une transformation qui est déjà en marche au niveau notamment des infrastructures portuaires de Dakhla et Laâyoune. Par ailleurs, à l’inverse du solaire, l’hydrogène vert sera facilement transportable, tout en renforçant l’aspect sécurité puisqu’il est très inflammable. «À court et moyen termes, il sera exporté vers l’Europe via les ports, puis par des pipelines et des gazoducs à long terme», ajoute Badr Ikken.
C’est dire que nous ne sommes qu’au début d’une véritable révolution énergétique façonnée par le Maroc, et dont le bénéfice touchera toute la région, ainsi que le continent européen. En attendant l’accouchement d’une Offre Maroc qui promet d’être incitative et l’une des plus compétitives au monde, le Royaume pose d’ores et déjà les jalons d’un écosystème centré autour de cette énergie du futur, où les infrastructures de classe mondiale sont en cours de réalisation. En parallèle, la technologie est développée grâce aux différents clusters lancés, et l’accompagnement et le soutien aux investisseurs locaux et étrangers semblent en bonne voie. Le tout sous la sollicitude et le suivi du
Souverain, qui, grâce à sa politique visionnaire, permettront au Maroc de faire son entrée dans le cercle très fermé des champions mondiaux en énergie verte, tout en assurant la souveraineté énergétique du pays et celle de l’Afrique.

 

C’est quoi l’hydrogène vert ?
L’hydrogène peut être produit de façon décarbonée et économique grâce à la technologie de l’électrolyse, qui consiste à séparer une molécule d’eau en Hydrogène (H2) et en Oxygène (O2) par un apport d’électricité, à condition que l’électricité ayant servi à le produire soit elle-même produite à partir de sources renouvelables. La production d’hydrogène par électrolyse de l’eau présente à terme une solution structurante pour l’intégration des énergies renouvelables au système énergétique. Ainsi produit, l’hydrogène permet d’accélérer la décarbonation de plusieurs secteurs dans l’industrie, la mobilité et les réseaux de gaz.

 

Projet pilote avec les Allemands
Dans le cadre du partenariat Maroco-Allemand, un projet ambitieux de référence pour la production d’hydrogène vert à partir de sources renouvelables est entrepris par MASEN. Ce projet, premier en son genre au Maroc et en Afrique, porte sur la réalisation d’une centrale hybride photovoltaïque et éolienne pour alimenter une usine d’hydrogène vert d’une capacité d’électrolyse d’environ 100 MW. La mise en service commerciale du site est prévue entre 2024 et 2025. Sa réalisation prend en compte les atouts importants du Maroc en termes de potentiel d’énergies renouvelables (solaire et éolien), d’infrastructures de proximité avec les consommateurs internationaux et de l’existence d’un marché local potentiel.