Affaires
La conservation foncière fait la guerre aux sociétés civiles immobilières
Un statut non transparent régi par le droit commun et principale brèche pour les affaires de spoliation immobilière. Pour toute transaction, les conservateurs exigent de toutes les SCI qu’elles soient transformées en sociétés commerciales.

Les affaires de spoliations immobilières continuent de faire l’actualité. Si les auteurs, les intervenants et les modalités diffèrent, il y a un point commun à plusieurs affaires: la société civile immobilière (SCI). Un statut juridique spécial qui permet à une personne ou à un ensemble de personnes de détenir un patrimoine immobilier via une structure distincte. «Seulement, la réglementation de la SCI demeure beaucoup trop légère et ne permet pas un suivi et une traçabilité de ses opérations», explique Me Abdellatif Yagou, notaire à Casablanca. En effet, contrairement aux S.A et aux autres types de sociétés (SARL, SNC…), elle ne dispose d’aucune loi propre. Ses deux seules bases juridiques sont l’article 982 du Code des obligations et des contrats régissant le contrat de société (et qui en réalité s’applique à toutes les formes de sociétés) et la fameuse circulaire 717 du Code général des impôts définissant la société civile comme celle «n’ayant pas de caractère commercial». Lors de sa constitution, cette société n’est pas soumise aux formalités de dépôt et de publicité, n’est pas tenue de s’inscrire au registre de commerce ni de tenir des livres de commerce, et, de facto, elle ne peut être mise en faillite.
La SCI ne peut servir de cadre à une opération commerciale
Au niveau des livres fonciers, le flou de ce statut juridique et les conséquences néfastes qu’il entraîne ont poussé les conservateurs à ne plus accepter les transactions relatives aux sociétés civiles immobilières. «Lorsqu’une personne morale souhaite vendre ou acquérir un bien immobilier, l’opération s’assimile à un acte de commerce, la circulaire 717 a d’ailleurs bien défini que la SCI ne peut servir de cadre à une opération commerciale. Ainsi, pour que la transaction soit validée, elle est dans l’obligation de se transformer en société commerciale (généralement en SARL), ou alors de se dissoudre pour laisser place à une copropriété de fait», indique ce conservateur de l’une des agences foncières les plus sollicitées de Casablanca.
Avant cette décision conjointe des conservateurs, ordonnée par l’autorité de tutelle, les SCI pouvaient établir des transactions immobilières, en enfreinte totale au code du commerce. En outre, les droits d’enregistrement étaient estimés sur la valeur des parts sociales ou capital social et non pas sur la valeur patrimoniale effective, permettant de réaliser des plus-values importantes moindrement taxées. Ainsi, pour «vendre» un immeuble en SCI, on pouvait au choix «vendre» l’immeuble proprement dit sur la base d’une valeur de voisinage, ou bien les parts sociales de la SCI qui le possédait sur la base d’une valeur bilan. Par ailleurs, il n’y avait pas de frais de mutation à la conservation foncière puisque l’immeuble restait la propriété de la société.
Avec l’obligation de transformation, la taxation est désormais basée sur la valeur «réelle» du bien et non sur celle des actions, car des sociétés à petit capital possédaient des biens d’une très grande valeur marchande… Surtout, la SCI est une arme de dissimulation redoutable. Si un commerçant ou un artisan fait faillite, sa banque peut donc saisir ses locaux, afin de les vendre et de récupérer son dû. Cependant, si l’un des associés de la SCI est étranger à l’activité professionnelle, il est impossible de saisir ses parts. La banque pourra donc, suite à une action en justice, saisir les parts de la SCI appartenant au commerçant défaillant, mais pas celles du deuxième associé. Ensuite, la banque ne pourra pas vendre les parts qu’elle a saisies si le deuxième associé ne donne pas son accord. La saisie des locaux étant alors inutile, la banque peut estimer plus judicieux d’envisager d’autres solutions pour récupérer ce qui lui revient, et contrairement à l’indivision, il n’y a pas de possibilité de provoquer un partage.
La SCI plus souple que l’indivision en cas de conflits entre associés
Ainsi, l’on se dirige de plus en plus vers la disparition des SCI au profit des SARL, ce qui n’est pas totalement en faveur des usagers, comme le précise Abdellatif Yagou. En réalité, l’essence même de la SCI est la protection du patrimoine des personnes et surtout la capacité de sortir du système contraignant de l’indivision. Cette dernière, qui est une situation de fait, généralement résultant d’un héritage, est très rigide, notamment dans les décisions qui doivent obligatoirement être prises à l’unanimité.
La SCI peut prévoir dans ses statuts des quotas de majorité de vote, selon l’importance des décisions, par le biais d’assemblées générales. En outre, en cas de conflit ou de volonté de retrait d’un associé, elle présente un intérêt notable puisque celui-ci n’aura qu’à céder ses parts. En indivision, la séparation des indivisaires entraîne dans la plupart des cas la vente du bien.
Enfin, et contrairement à la SCI, l’indivision a un inconvénient certain lié à son statut précaire puisque «nul n’est tenu de rester en indivision» (article 978 du dahir des obligations et des contrats), alors qu’en créant une société, les contractants s’engagent à respecter leurs engagements et les modalités de retrait sont prévues dans les statuts.
