Affaires
Justice administrative : la Douane reste un électron libre !
Les affaires la concernant représentent moins de 15% de l’activité des tribunaux administratifs. L’Agence judiciaire du Royaume n’intervient pas. La transaction reste le chemin le plus suivi par l’administration.

Le contentieux douanier reste un domaine assez particulier dans le labyrinthe de la justice fiscale et administrative. En plus de disposer d’une loi distincte, les amendes prévues par ce corpus ont le caractère prédominant de réparations civiles, en ce sens qu’elles ouvrent la voie facilement à un arrangement à l’amiable (sauf bien évidemment lorsqu’il s’agit d’infractions prévues par le code pénal impliquant de la marchandise prohibée), même si elles sont infligées par les tribunaux répressifs. L’activité judiciaire rend cette réalité encore plus perceptible, puisque moins de 15% des affaires des tribunaux administratifs impliquent l’administration des douanes, ce qui correspond à 27% du contentieux douanier global, sachant que l’Agence judiciaire du Royaume n’y intervient pas. Cependant, malgré leur caractère de réparations civiles, les condamnations pécuniaires en matière de douane et impôts indirects sont soumises aux règles du code de procédure pénale (inscription au registre de commerce et publication dans les journaux d’annonces légales).
Cette autonomie par rapport à la justice administrative est due à l’utilisation récurrente par la Douane de la transaction, comme l’explique l’universitaire spécialisé Fathallah El Menouali : «La plupart des litiges en matière de dédouanement se terminent par un arrangement amiable afin d’éviter aux prévenus la lenteur des procédures judiciaires, ainsi que la publicité d’une décision judiciaire généralement nuisible à l’image des activités des opérateurs économiques en douane».
Contrairement au reste des astreintes fiscales, l’infraction douanière est très ouverte à la conciliation puisque la règle de «la chose jugée» ne s’y applique pas. Ainsi, l’administration a le droit de transiger avec les personnes poursuivies pour infractions de douane et impôts indirects, soit avant, soit après un jugement définitif. D’ailleurs, l’action du ministère public aussi bien que celle de l’administration s’éteint lorsque la transaction devenue définitive (ratifiée par le ministre chargé des finances ou par le directeur de l’administration) intervient avant jugement définitif. D’ailleurs, la jurisprudence admet que cette action reste possible même si l’administration des douanes venait à découvrir de nouveaux éléments conduisant à une infraction distincte de celle qui fondait la transaction. Cependant, lorsqu’elle intervient après un jugement définitif, la transaction laisse subsister l’emprisonnement et la mesure de sûreté personnelle. Elle lie, alors, irrévocablement les parties et n’est susceptible d’aucun recours.
Il faut toutefois préciser que la transaction peut porter sur des remises partielles ou totales des amendes, confiscations et autres sommes dues, mais ne peut, en aucun cas, porter sur les montants des droits et taxes normalement exigibles sauf lorsqu’elle comporte l’abandon des marchandises litigieuses au profit de l’administration.
Une indépendance qui se paie sur le terrain de la lutte de contrefaçon
Globalement, cette politique porte ses fruits puisque les procédures transactionnelles ont participé à porter les recettes du contentieux à 2,62 milliards de DH de droits et taxes à fin 2014 contre 2 milliards de DH en 201
(www.lavieeco.com), et ce, malgré certains bémols: «L’opportunité, sinon la pertinence d’une telle technique de règlement des litiges en matière de dédouanement, reste discutable, car non seulement elle est l’expression du pouvoir de coercition, toujours discrétionnaire ou aveugle de la Douane, mais encore parce qu’elle est insuffisamment traitée par le code des douanes», indique El Menouali.
Cela dit, quand la Douane décide de faire appel à la Justice, notamment dans les affaires de contrefaçon, la collaboration n’est pas toujours évidente. En effet, alors que plus de 7,3 millions d’articles de contrefaçon ont été saisis par l’administration des douanes en 2014 (le tout évalué à quelque 105 millions de DH), la justice n’a accouché que de 266 suspensions, à en croire les derniers chiffres rendus publics par l’administration. Cette dernière pointe d’ailleurs la lenteur de l’appareil judiciaire dans le traitement des dossiers, qui peuvent parfois durer plus d’une décennie. Les praticiens précisent cependant que le référentiel existe depuis la promulgation de la loi sur la propriété industrielle, et que les magistrats ont été formés à cet effet. Ce qu’ils pointent, c’est le corpus répressif qui consiste en des peines de 5 à 6 mois de prison et des amendes plafonnées à 500000 DH. Même constatées, les infractions ouvrent rarement la voie à des dommages-intérêts difficilement calculables, ce qui débouche généralement sur une simple confiscation/destruction de la marchandise contrefaite.
Pour parer à ce manque à gagner, la Douane a opté, de son côté, pour le renforcement de la coercition concernant les infractions qui lui sont propres, autres que la contrefaçon. Ainsi, la Loi de finances 2015 a renforcé le dispositif répressif à travers le durcissement des sanctions. La non-déclaration d’une partie du poids, de la quantité ou de la valeur dépassant de 20% la réalité est désormais classée à un degré supérieur et considérée en tant que contravention douanière de première classe. De surcroît, les personnes qui usent de manœuvres pour bénéficier personnellement du régime de l’admission temporaire sont sanctionnées.
