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Énergie et durabilité : Taxe carbone ? Même pas peur !

L’entrée en vigueur de la taxe carbone aux frontières européennes représente une occasion unique pour les industriels au Maroc d’accélérer leur décarbonation et de gagner en compétitivité. Et toutes les conditions sont réunies pour une transition réussie.

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Le 1er octobre, le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM), mis en place par l’UE pour soutenir les efforts de transition vers une économie verte, plus communément appelé taxe carbone, est entré en vigueur. Il s’agit certes d’une phase transitoire, déclarative et sans taxation, mais son application effective ne saurait tarder, puisqu’elle est prévue pour le 1er janvier 2026. À compter de cette date, ce mécanisme imposera un prix à payer pour les biens exportés vers l’Europe pour leur émission de carbone. Le Maroc est concerné au premier chef par cette nouvelle donne, l’Europe étant son principal partenaire commercial, absorbant près de 65% des exportations du pays. Et les industries exposées ne manquent pas : automobile, aéronautique, textile, fertilisants, agroalimentaire, etc. Autant de secteurs moteurs du tissu industriel national confrontés à un sérieux enjeu de compétitivité à l’export.

Les acquis d’une stratégie pionnière
Face à ce défi, le Maroc ne part pas d’une feuille blanche, loin de là. Car il n’a pas attendu le CBAM pour décarboner. Le Royaume a mis en place, dès 2009, sur impulsion royale, une stratégie énergétique volontariste pilotée par le ministère de la Transition énergétique et axée notamment sur la montée en puissance des énergies renouvelables. Cette approche a permis d’atteindre, à fin 2022, une capacité électrique totale installée où le poids des EnR a atteint 38%. Avec le lancement des feuilles de route sur l’hydrogène vert et la biomasse, et dans la perspective de l’entrée en vigueur de la taxe carbone en Europe, les objectifs initiaux en termes de capacité installée (42% initialement pour 2020) ont été rehaussés à 52% avant 2030.

Cette stratégie et ses acquis placent aujourd’hui le Maroc en position sereine pour relever le défi de la décarbonation. La taxe carbone devient même porteuse d’opportunités pour le Maroc, car susceptible de lui procurer un avantage compétitif par rapport à ses concurrents. Le principal atout du Royaume, c’est son immense potentiel renouvelable (éolien, solaire et hydraulique) que lui offre la géographie et qui lui permet aujourd’hui de produire une énergie renouvelable parmi les moins chères au monde. Un argument économique de poids qui parle aux entreprises, au-delà de la nécessité de contribuer à la lutte contre le changement climatique. Décarboner revient ainsi à réduire sensiblement les coûts de production, renforcer la sécurité des approvisionnements en énergie, et en même temps répondre aux réglementations de plus en plus strictes de certains marchés. Le retour sur investissement dans la décarbonation est également très court, selon les spécialistes. Aujourd’hui, les grands groupes industriels basés au Maroc s’inscrivent largement dans cette démarche. L’usine Renault de Tanger, par exemple, est déjà à zéro émission nette. Les cimentiers, sidérurgistes et une entreprise, comme l’ONCF, ont déjà recours aux EnR.

Reste à accélérer et généraliser cette transition à l’ensemble du tissu industriel. Le département de Leila Benali a dans ce sens mis en place un programme dédié qui vise à doter toutes les zones industrielles du Royaume en projets d’EnR, cumulant une capacité globale de plus de 800 MW. Le cadre réglementaire visant à favoriser le développement et l’expansion des EnR pour la production d’électricité a été renforcé et modernisé au fil des années, avec notamment l’objectif de donner accès aux industriels à une énergie propre bon marché.

Une panoplie de mesures incitatives
Pour les entreprises qui ne sont pas encore prêtes à l’échéance taxe carbone, et elles sont encore nombreuses notamment parmi les TPME, elles peuvent encore rattraper leur retard en s’appuyant sur la panoplie d’instruments de soutien, technique et financier, mis en place ces dernières années. Parmi ceux proposés par l’État figure le programme «Tatwir croissance verte».

Déployé à travers l’Agence nationale pour la promotion de la PME (Maroc PME) et l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique (AMEE), ce programme accompagne les TPME industrielles dans leurs démarches de développement de process et produits décarbonés, tout en appuyant l’émergence de nouvelles filières industrielles vertes. Parmi les incitations qu’il propose figurent un financement allant jusqu’à 90% de l’étude technique des projets de décarbonation et une prime d’investissement de 30% pour le financement de ces projets. Côté secteur privé, un guide complet de la décarbonation de l’entreprise a été lancé par le patronat, tandis qu’un outil de calcul du bilan carbone a été développé par la Fondation MohammedVI pour la protection de l’environnement. Côté financements, des outils comme la Green Value Chain (GVC) et la Green Economy Financial Facility sont mis en place par les partenaires européens avec des banques partenaires. Ainsi, à travers les différents programmes initiés (Morseff 2015-2019, Green Value Chain lancé en 2019 et GEFFII lancé en 2020), la BERD devrait débloquer au Maroc, d’ici fin 2025, plus de 3,6 milliards de dirhams de lignes de financement vert. Du côté des banques, on assure même que les projets dédiés à la décarbonation sont plus faciles à obtenir par rapport aux autres projets.

En résumé, les conditions d’une décarbonation réussie de l’économie nationale sont aujourd’hui réunies. Au-delà d’une meilleure compétitivité du Made in Morocco sur le marché européen qui pourrait damer le pion aux concurrents, cette transition peut positionner le Maroc en tant que destination de choix sur le marché naissant de l’économie durable, avec la perspective de massifier les investissements dans le secteur.


Le rôle clé de l’onee

La mise à la disposition d’une énergie propre et compétitive pour les besoins de décarbonation est primordiale. Et l’ONEE aura dans ce sens un rôle central à jouer. Dans ce cadre, le gouvernement et l’Office ont signé, en décembre 2022, une convention relative à l’accès des industriels à l’électricité de sources renouvelables. Les parties signataires ont ainsi convenu de fixer les conditions permettant aux industriels de bénéficier de l’énergie électrique à prix compétitif, en vue d’accroître leur compétitivité, et ce, à travers leur alimentation à partir de moyens de production de l’électricité de sources renouvelables autorisés dans le cadre de la loi 13-09.
Récemment, à Marrakech, le ministère de la Transition énergétique et la BERD ont signé un protocole d’accord pour accélérer la décarbonation du secteur électrique au Maroc. Les deux parties soutiendront l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) dans ses efforts de décarbonation. En ligne de mire : une trajectoire neutre en carbone et l’élimination progressive des actifs liés aux combustibles fossiles au cours des prochaines décennies.