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Chèques sans provision : les chiffres grimpent mais les juges sont plus cléments…

Plus de 850 000 affaires devant les tribunaux correctionnels en 2015, en hausse de 12% par an depuis 2012. Ces dossiers représentent plus de 21% de l’activité judiciaire pénale du Maroc.

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Cheques sans provision

«Nous informons notre clientèle que nous n’acceptons pas de paiement par chèque». La notice est affichée, bien en vue, à la caisse d’un grand nombre de magasins. Grande distribution, restauration, petit commerce ou franchises…, les commerçants font de moins en moins confiance au chèque. Et peut-être pas à tort. Les derniers chiffres du Groupement pour un système interbancaire marocain de télécompensation (GSIMT) parlent de plus de 2 millions d’incidents de paiement et de plus de 500000 interdits de chéquiers.

Côté judiciaire, là où des sanctions pénales sont appliquées (gardes à vue, peines privatives de liberté et sanctions financières), plus de 850000 affaires de chèques sans provisions ont été recensées auprès des juridictions correctionnelles nationales en 2015. Un chiffre toujours en hausse de 12% par an depuis 2012. Et en plus d’être un véritable casse-tête pour les banquiers, la recrudescence des chèques sans provision a un impact colossal sur l’activité judiciaire. Les affaires de chèques représentent 21% de l’activité des juridictions correctionnelles dans le pays et plus de 32% à Casablanca !

La mauvaise foi de l’émetteur est difficile à prouver

Outre les sanctions prises par les établissements de crédit envers les émetteurs de chèques sans provision, la loi prévoit une batterie de peines qui sont rarement applicables. La jurisprudence du Tribunal correctionnel de Casablanca montre d’ailleurs que la possibilité de régularisation demeure ouverte durant toute la durée de la procédure, et que dans la majorité écrasante des cas, le créancier lésé arrive à récupérer son dû avant l’application de toute peine pénale (en excluant la garde à vue, mesure préliminaire appliquée dans tous les cas).

En fait, le délit d’émission d’un chèque sans provision suppose que soit rapportée la preuve de l’intention de porter atteinte aux droits d’autrui. Or, ainsi que l’a rappelé encore tout récemment la Cour de cassation (septembre 2015), l’existence de cet élément intentionnel ne se déduit pas de la seule connaissance qu’avait l’émetteur de l’absence ou de l’insuffisance de la provision figurant sur son compte. «Dans plus de la moitié des cas, l’émetteur n’était même pas au fait de l’absence de paiement. Le timing entre l’émission et l’encaissement du chèque est souvent déterminant puisque plus ce délai est long, plus le risque de chèque en bois s’élève», témoigne un magistrat du tribunal correctionnel de Casablanca.

Cette tendance à la «clémence» vis-à-vis des émetteurs de chèques revient à l’arrêt de la Cour suprême de 2005, tant décrié par les banquiers. Une décision qui «considère que le banquier doit envoyer une lettre de mise en garde préalable, précise et spécifique au chèque qui va être rejeté et ne peut se contenter de faire une information indépendante de tout incident bancaire, figurant par exemple dans les conditions générales de la convention de compte». Ainsi, le banquier ne peut refuser le paiement d’un chèque pour défaut de provision suffisante qu’après avoir informé le titulaire du compte des conséquences du défaut de provision. Cette information préalable doit être donnée par tout moyen approprié mis à disposition par le titulaire du compte.
Cette aggravation du phénomène des chèques sans provision accouche d’une autre problématique. La proportion de chèques en bois émis par des personnes morales évolue d’année en année, pour arriver à 23% en 2015, alors qu’elle n’était que de 11% en 2012. Si cela est en partie dû au déficit de liquidités de certaines entreprises au vu de la conjoncture, cela peut-être un dangereux moyen de fraude.

La personne morale, un nouveau bouclier pour les contrevenants

Dans plusieurs affaires traitées par le tribunal correctionnel de Casablanca, des sociétés fictives sont créées afin d’émettre des chèques en leur nom, ce qui permet d’éviter la garde à vue automatique du vrai débiteur. Ce mode opératoire est devenu récurrent depuis fin 2013, lorsque les fraudeurs ont détecté une faille : quand c’est une personne morale qui émet le chèque, la responsabilité pénale incombe au mandataire social dont le nom figure sur le modèle 7 de la société au registre du commerce. Pour ce faire, le créancier doit s’adresser à un huissier de justice afin que ce dernier signifie le certificat de paiement au débiteur. Cependant, la Cour d’appel de Casablanca a décidé de couper court au phénomène, en émettant deux arrêts confirmés par la Chambre pénale de la Cour de cassation en 2014, qui ordonnent désormais «au juge correctionnel d’appeler en cause tout membre dirigeant de la société (ndlr : gérant pour les SARL, administrateurs, président ou DG pour la SA) au moment de la découverte de l’absence de provision, et ce, avant que l’huissier de justice n’en désigne le mandataire responsable de la signature».

[tabs][tab title = »Un instrument de paiement pourtant encore très utilisé « ]La structure des échanges des moyens de paiement telle que relevée par Bank Al-Maghrib fait ressortir la prédominance des chèques dans le total des opérations, aussi bien en nombre qu’en montant. Le nombre des remises de chèques s’est élevé à 28,3 millions en 2014, soit 46% du total des échanges. L’équivalent en valeur s’est établi à 985 milliards de DH, représentant 61% des capitaux compensés. Le rapport de la banque centrale sur les moyens de paiement indique par ailleurs que l’utilisation du chèque dans la ventilation des instruments de paiement scripturaux reste prédominante en nombre, quoiqu’en baisse d’une année à l’autre puisque sa part est passée de 56% en 2009 à 46% en 2014.[/tab][/tabs]