Affaires
Chèques sans provision : comment la personne morale fait office de bouclier
Un peu moins de 800 000 affaires de chèques impayés en cours à Casablanca. Ces affaires représentent 30% de l’activité des tribunaux correctionnels. Le débiteur peut gagner du temps lorsque le chèque est émis par son entreprise.

On le sait, le chèque est un moyen de paiement, non de crédit. Seulement, ces deux concepts se mélangent dans la pratique puisque le chèque de garantie est monnaie courante au Maroc. A tel point que les infractions relatives au chèque sont parmi les plus récurrentes dans les tribunaux. Elles s’élèvent à quelque 30% de l’activité des juridictions correctionnelles. A l’heure actuelle, à peu près 800 000 affaires relatives aux chèques sont en cours à Casablanca (la majorité écrasante ayant été enregistrée en 2014).
La justice réserve un sort peu enviable aux émetteurs : garde à vue, enquête préliminaire, interdiction d’émettre un chèque pendant 5 ans, frais et pénalités. Reste que les tribunaux font aujourd’hui face à une nouvelle forme de fraude : l’émission d’un chèque par une société. S’il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau, il est aujourd’hui de plus en plus usité par les débiteurs afin de «ralentir» la procédure ou de trouver une échappatoire. Ainsi, dans plusieurs affaires traitées par le tribunal correctionnel de Casablanca, des sociétés fictives sont créées afin d’émettre des chèques en leur nom, ce qui permet d’éviter la garde à vue automatique du vrai débiteur. Ce mode opératoire est devenu récurrent depuis fin 2013, lorsque les fraudeurs ont détecté une faille : quand c’est une personne morale qui émet le chèque, la responsabilité pénale incombe au mandataire social dont le nom figure sur le modèle 7 de la société au registre du commerce. Pour ce faire, le créancier doit s’adresser à un huissier de justice afin que ce dernier signifie le certificat de paiement au débiteur. Juridiquement, cette signification vaut injonction de payer. Donc on passe du pénal au civil, d’où la perte du caractère dissuasif de la loi.
S’il n’y a pas de régularisation, le certificat de non-paiement émis par la banque devient alors un titre exécutoire permettant d’engager une procédure pénale. Entre-temps, l’on peut compter jusqu’à deux mois de procédure : assez pour que l’émetteur puisse disparaître dans la nature. Son créancier devra alors faire une plainte contre X dont la chance d’aboutir est plus que minime.
La Cour d’appel de Casablanca a décidé de prendre au sérieux cette pratique et a livré trois arrêts, confirmés par la Chambre pénale de la Cour de cassation en 2014, qui ordonnent désormais «au juge correctionnel d’appeler en cause tout membre dirigeant de la société (ndlr : gérant pour les SARL, administrateurs, président ou DG pour la SA) au moment de la découverte de l’absence de provision, et ce, avant que l’huissier de justice n’en désigne le mandataire responsable de la signature».
