Affaires
2015, année du foncier à la Cour de cassation
La Chambre consacrée aux litiges fonciers tourne à plein régime et les juges veulent stabiliser la jurisprudence. Responsabilité du conservateur et litiges relatifs à l’inscription foncière, deux thèmes récurrents.

C’est en grande pompe que la Cour de cassation a ouvert, jeudi 21 janvier, son année judiciaire 2016. Un évènement qui se transforme d’année en année en un conclave de juristes de tout bord venus faire le point sur l’évolution législative et judiciaire. A ce propos, les magistrats de la Cour de cassation s’interrogent de plus en plus sur la place de la haute juridiction dans le processus normatif. Une interrogation qui s’impose d’autant plus que le nombre de normes s’est considérablement accru, que les acteurs nationaux ou internationaux de l’interprétation du droit se sont multipliés et que le juge suprême d’un ordre de juridictions doit aussi prendre l’habit de l’acteur d’un dialogue complexe entre les juges et les magistrats nationaux ou internationaux. «Le nombre de normes s’est non seulement accru mais, dans le même temps, la qualité de la loi s’est affaiblie, rendant plus importante la mission d’interprétation confiée à l’autorité judiciaire», tranche Mustapha Fares, président de la Cour de cassation pour qui l’abondance de normes, au lieu de mieux encadrer l’office du juge, en amplifie le rôle d’autant que, par ailleurs, ce dernier doit s’interroger sur l’applicabilité de textes de valeur normative supérieure, qu’ils soient d’essence nationale ou supranationale. Contrôle de conventionalité qui permet d’écarter l’application de la loi dans le litige, primauté et effet direct des conventions internationales, jurisprudence du Conseil constitutionnel… «Cette multiplication des sources appelle un dialogue des juges et nous savons que ce dialogue peut parfois être compliqué par la difficile articulation entre les divers contrôles de fondamentalité», continue Fares. En tout cas, l’année judiciaire 2015 de la Cour de cassation a marqué un retour à la normale après le surbooking de l’exercice 2013-2014 au cours duquel les hauts magistrats avaient traité plus de 20 000 affaires.
Moins de 9 000 affaires traitées et 2 000 plaintes diverses reçues
Seulement 9000 affaires ont été traitées et 2 000 plaintes diverses reçues en 2015. Comme à l’accoutumée, c’est la Chambre pénale qui est la plus sollicitée avec plus de 52% des affaires, suivie des Chambres civiles et commerciales. Mais il convient surtout de signaler que la Chambre foncière, créée en juin 2015, a déjà traité plus de 300 litiges et les magistrats se sont donné comme objectif d’unifier une jurisprudence encore trop inconstante en la matière. Et la priorité est donnée à l’éclaircissement de la responsabilité du conservateur dans le contentieux immobilier. En effet, les plaintes contre les conservateurs se multiplient auprès de la Haute juridiction et il semble que la jurisprudence n’a jamais retenu la faute lourde contre eux. Parfois elle estime que la faute commise par le conservateur n’est ni une faute de service, ni une faute personnelle.
C’est le cas notamment d’un conservateur qui inscrit un procès-verbal de saisie sur le titre foncier d’un homonyme du véritable débiteur, et parfois elle rejette la responsabilité du conservateur, estimant que ce dernier n’a commis aucune faute lourde. Enfin, dans certaines décisions la Cour précise qu’il faut rechercher la responsabilité du conservateur sur la base de la loi sur l’immatriculation foncière. Il faut d’ailleurs noter que la majorité des arrêts concernent des décisions de conservation prises par erreur et qui engagent automatiquement et sans discussion la responsabilité personnelle du conservateur, alors que les fautes qu’il a commises lors de l’exercice de ses fonctions n’ont été que rarement causes d’actions en justice.
Autant dire que les magistrats ont pour finalité d’assainir le climat longtemps jugé malsain de l’activité foncière.
La possession prend le dessus sur la propriété
D’ailleurs, en matière d’inscription et de preuve, la Cour de cassation favorise clairement la possession de fait au droit de propriété, et ce, en appliquant le principe de «prescription acquisitive».
Une situation de fait, la possession, qui prévaut pendant une certaine durée, permet au possesseur de se voir conférer le titre de propriétaire. Corrélativement, l’action en revendication du propriétaire antérieur s’éteint. Ce délai, jugé en fonction du contexte et au cas par cas, permet de trancher des litiges ancestraux, notamment en milieu rural.
La publicité foncière ne consacrant pas la validité du titre mais seulement son opposabilité aux tiers, et le cadastre n’ayant qu’une valeur indicative, «la possession prolongée permet en effet au possesseur d’acquérir le titre qui lui fait défaut et dont la preuve nécessiterait de monter la chaîne des propriétés jusqu’à la première en prouvant la parfaite régularité des transmissions successives, preuve qui est impossible à rapporter», indique un arrêt de la Cour de cassation datant de mars 2015. La prescription acquisitive (le fait d’acquérir juridiquement un droit réel), en privilégiant la possession utile et prolongée, permet ainsi de résoudre les conflits de preuve. Elle est également jugée «facteur d’ordre social» car elle fait coïncider le fait et le droit, et évite de prolonger la situation dans laquelle le droit de propriété et la possession seraient dissociés, et favorise la valorisation des biens en «récompensant» juridiquement le possesseur qui a exploité un terrain pendant des années.
