Culture
Festival Gnaoua et Musiques du Monde: Majid Bekkas, un artiste qui a du «Joudour» dans le guembri
Majid Bekkas et son Joudour Project ont chaviré les cœurs à la place Moulay Hassan. Virtuose du guembri, il fusionne transe gnaouie et jazz dans un voyage sonore ensorcelant, mêlant racines et improvisations.

Majid Bekkas, maître incontesté du Gnaoua Blues, clôture la soirée d’ouverture de la 26e édition du Festival Gnaoua et Musiques du Monde avec son Joudour Project. Le guembri, cet instrument totem, pulse entre ses mains comme un cœur battant, tissant des ponts entre la transe gnaouie, le jazz fiévreux et le blues africain. La foule, hypnotisée, oscille entre recueillement et extase.
Originaire de Zagora, élevé à Salé, Bekkas n’est pas seulement un musicien : c’est un alchimiste. Depuis les années 1980, il sculpte son concept d’« African Gnaoua Blues », une fusion où la spiritualité des confréries gnaouies rencontre l’improvisation jazzy et les accents mélancoliques du blues. Ce soir, entouré d’un ensemble d’exception – Karim Ziad à la batterie et les chœurs envoûtants du maalem Fathallah Chaouki et ses koyou– il déploie une toile sonore où chaque note semble porter l’âme d’un continent.
Le set s’ouvre sur des rythmes gnaouis, lents, presque rituels, avant que les instruments du monde ne s’élèvent, libres et audacieux, entraînant le public dans un dialogue entre tradition et modernité. Les cliquetis des qarqabou, ces castagnettes métalliques, scandent une transe qui n’a rien de folklorique : c’est une célébration vivante, un cri de liberté musicale. Bekkas, charismatique, passe du guembri à la guitare, sa voix grave et profonde chantant des poèmes qui parlent d’errance, d’amour et de racines. «Daymallah», son titre emblématique, résonne comme un hommage au Maroc et à ses déserts, tandis que des improvisations inédites rappellent ses collaborations avec des géants comme Archie Shepp ou Salif Keita.
Le public, cosmopolite, est suspendu à cette performance. «C’est comme si la musique nous prenait par la main pour traverser les âges», murmure une spectatrice, les yeux brillants. Bekkas, lui, reste fidèle à sa mission : faire du Gnaoua un langage universel, un pont entre les cultures. Ses albums récents, de Joudour (2022), enregistré dans l’intimité du confinement, à son dernier opus avec Waaju à Londres, primé comme meilleur album de fusion en 2024, témoignent de cette quête incessante.
Sur la scène Moulay Hassan, face à l’océan, Bekkas incarne cette « humanité partagée » dont parle Neila Tazi, productrice du festival; il rappelle que la musique gnaouie, née de l’esclavage et de la résilience, est avant tout une ode à la liberté. Et ce soir, elle a chaviré tous les cœurs.
