Affaires
Vidéo. Vin marocain, verre à moitié vide ?
Entre changement des habitudes de consommation et une demande internationale qui grandit, le secteur viticole marocain fait face à plusieurs défis. Pour y répondre, une nouvelle configuration est nécessaire.
Le vin marocain renaîtra-t-il de ses cendres ? Nos raisins gagneront-ils en maturité, retrouvant ainsi leur éclat d’antan ? Tout porterait à y croire: modernisation d’outils de production, montée en gamme, prémices d’assouplissement de la réglementation et une fiscalité plutôt raisonnable, en tout cas plus flexible que celle de ces 10 dernières années. Si ce secteur est réputé restreint et étroit, victime de tabous et de contraintes culturelles et réglementaires, il se rebiffe et se réadapte.
Chez Celliers de Meknès, le plus gros opérateur vinicole du Maroc, revendiquant une part de marché de près de 75%, une révolution de velours s’opère actuellement. Le groupe lancera dans peu de temps, précisément à partir de ce week-end, la toute nouvelle trouvaille du Domaine Château Roslane, l’un des cinq domaines de la filiale de Diana Holding appartenant à la famille Zniber. Le Château Roslane, situé à quelques kilomètres de la ville de Meknès, au cœur du berceau historique de la culture de la vigne au Maroc, lancera son deuxième vin: La Tour Roslane, un vin moyen de gamme au prix de 149 dirhams. Connu pour son vin prestigieux, Les Coteaux de l’Atlas, ce domaine, première propriété viticole du Maroc et d’Afrique du Nord à bénéficier de la classification AOC, opère un tournant historique en lançant ce deuxième vin, fruit de plus de 24 ans de savoir-faire du terroir «Coteaux de l’Atlas».
Le timing de ce lancement n’est pas fortuit. La reprise du tourisme, la levée des mesures restrictives liées à la crise sanitaire et le changement des habitudes de consommation des Marocains sont autant de facteurs qui joueront en faveur de cette diversification des Celliers de Meknès.
45 millions de bouteilles consommées par an
En effet, le Marocain, grand consommateur d’alcool avec près de 45 millions de bouteilles de vin par an, n’est pas très friand de vins de garde (Premium). Il est plutôt sur des cycles de vins rapides, mais de bonne qualité. En initiant ses nouvelles lignes de production, Celliers de Meknès répondra ainsi à une demande qui se fait de plus en plus sentir : des marques de vins de qualité accessibles.
Et ce n’est que le début. Après la Tour Roslane, le groupe initiera une nouvelle marque moins chère que ce dernier-né du Château Roslane. La nouvelle gamme sera développée dans la cave Olivim (Oliviers et Vignes de Meknès), où Celliers de Meknès est associé à hauteur de 50%, dans le domaine Saâda situé dans la localité Dar Caïd Ali, à quelques kilomètres de «laville des 100 minarets». La nouvelle marque se situera dans le milieu de gamme et sera mise sur le marché fin février 2023. Tous les événements de lancement et de promotion de la marque seront opérés début mai 2023, nous apprend une source. «Ça sera une belle surprise. En termes de packaging, ça sera quelque chose de nouveau pour le marché marocain, qui rappelle notre terroir marocain et notre environnement culturel amazigh», confie notre source. La nouvelle marque sera commercialisée aux alentours de 100 DH. Les cépages du domaine proposeront du rouge, du rosé et du blanc. Il s’agira de la première marque de plusieurs gammes qui seront révélées prochainement par le domaine Saâda, selon la même source.
Une image à redéfinir à l’international
Les producteurs de vins au Maroc, qui se comptent sur les doigts d’une main, entendent ainsi s’adapter aux nouvelles exigences de consommation des Marocains. Des consommateurs qui se font de plus en plus nombreux, surtout après la période du Covid-19, en plus de l’apparition d’une nouvelle clientèle jeune, urbaine, amatrice d’apéros et demandeuse de nouveautés et de nouvelles expériences gustatives, mais sans se ruiner. Et c’est cette niche de clientèle qui est dans le viseur des producteurs vinicoles. L’époque du vin Chaudsoleil, du domaine de Sidi Slimane, surnommé Ferraka ou Boulebbader, est révolue, et la marque Guerrouane se fait, elle, de plus en plus rare chez les débits d’alcool. On se positionne dorénavant dans le bio, comme chez le domaine Val d’Argan, près d’Essaouira, qui prétend être pionnier dans le vin bio au Maroc.
«Aujourd’hui, les vins marocains sont diversifiés et sont montés en gamme. Ils n’ont rien à envier aux vins du Nouveau Monde, de Californie, de la Nouvelle-Zélande, d’Australie, de Chili ou d’Argentine», nous commente Hamza Messaoud. Le DG d’Olivim, qui a poursuivi des études en viticulture et en œnologie en France, avant de prendre les rênes du domaine Saâda, pousse le «bouchon» un peu loin, en concurrençant carrément les vins français. «On n’a rien à envier même aux vins français. Nous avons Les Coteaux de l’Atlas, le Azayi, le Tandem, La Tour Roslane… si on recourt à des dégustations à l’aveugle, on aura du mal à dire que ce sont des vins marocains. Nous comptons des vins comme Tandem, produit dans la cave Thalvin à Ben Slimane, et Coteaux de l’Atlas, AOC Roslane, produit par Celliers de Meknès, qui peuvent prétendre à des vins de garde», lance-t-il. En tout cas, les distinctions et les médailles remportées par ces vins à l’international ne peuvent que le conforter dans ses dires. Si le vin marocain peut jouir d’un meilleur branding à l’international, ce qui lui porterait préjudice, c’est cette image souvent folklorique. «En France, par exemple, quand on veut manger du couscous, on l’accompagne avec du vin marocain. C’est bien, cependant on ne doit pas être distingué seulement par l’origine géographique, mais aussi et surtout par la qualité», poursuit Messaoud. D’ailleurs, 10% de la production marocaine est exportée, «principalement vers le marché européen. Les Européens sont friands de nos vins. Nous expédions également vers le marché asiatique qui est très porteur, mais c’est un marché demandeur de volumes que nous ne pouvons pas toujours satisfaire», regrette notre interlocuteur. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’au Maroc, même si le climat est propice à la culture des vignes, la production demeure très limitée, à raison de 7.000 hectares de vignes seulement.
Inégale répartition géographique
A titre de comparaison, rien que dans la région bordelaise, on parle de 140.000 hectares et de 800.000 hectares dans tout l’Hexagone. «C’est très peu. Le potentiel est énorme, notamment à l’export, mais la production ne suit pas. Meknès est la plus grande région de production de vins au Maroc et elle est reconnue mondialement. Elle concentre 70% de la production nationale», nous déclare Hamza Messaoud, avant d’ajouter que durant les années 50, «le Maroc disposait d’une superficie cultivable en vins de 100.000 hectares. Après le protectorat, une grande partie des vignes a été délaissée. Le peu qui a pu être sauvé a été concédé par la société de développement agricole, la Sodea, à des opérateurs privés».
Aujourd’hui, les deux plus grands bassins de production de vins au Maroc sont Meknès et Benslimane, où opère Celliers de Meknès. Le groupe gère en direct 1.500 hectares et près de 1.000 hectares à travers des conventions avec Thalvin dans le domaine d’Ouled Thaleb à Benslimane, et avec des agriculteurs pour l’achat de raisins. Le groupe dispose de cinq domaines viticoles déployés sur plus de 3.300 hectares. Après la famille Zniber, arrive le groupe Castel à travers la Société des Boissons du Maroc, qui vinifie entre 1.000 et 1.500 hectares. Il est suivi par la cave de la Ferme Rouge, basée à Rommani dans la province de Khémisset. Ensuite, arrivent de petits producteurs qui disposent de superficies ne dépassant pas 300 hectares, comme le domaine Zouina qui commercialise Volubilia, le Val d’Argan à Essaouira, ou encore le domaine de la famille Tissot à Berkane.
Au Nord, historiquement, il n’y a pas eu de culture de raisins de cuve, mais plutôt une culture de raisins de table. «Le climat est propice et adapté à la vigne. L’histoire fait qu’il n’y a pas eu de production de vins au Nord du Maroc. Peut-être que c’est un axe sur lequel on peut travailler dans un avenir proche», souligne notre interlocuteur. En tout et pour tout, le Maroc ne compte donc qu’une dizaine de producteurs. Ce qui est très peu face aux exigences d’un marché interne caractérisé par de nouvelles tendances de consommation et un marché à l’export de plus en plus demandeur de vins marocains.
«J’espère qu’on se dirigera les prochaines années vers une augmentation en superficie cultivée, en production et en export. Deux vitrines nous permettront de monter en puissance : le tourisme et l’internationalisation. Nous devons multiplier nos participations aux salons et aux compétitions pour remporter plus de médailles et faire rayonner le vin marocain. Pour le tourisme, nous travaillons depuis plusieurs années, au sein de l’Association des producteurs de raisins au Maroc, sur un circuit œnotouristique. Il a du mal à prendre, parce qu’aujourd’hui ce n’est pas intégré dans la culture marocaine. Ce sont des choses difficiles à mettre en place, mais on ne désespère pas», précise, sur un ton optimiste, Hamza Messaoud.
Des Romains à Brahim Zniber, 15 siècles d’histoire
Le vin marocain semble aujourd’hui à la croisée des chemins. Ratera-t-il le train de l’internationalisation et d’une véritable montée en gamme ? Un ratage qui ferait perdre à l’État des milliards de dirhams en impôts supplémentaires et des emplois dont des régions ont grandement besoin. Le secteur emploie des dizaines de milliers de personnes et figure parmi les plus gros contribuables au Maroc. Faut-il rappeler que le Maroc a toujours été une terre de vin, et ce, depuis l’époque des Phéniciens ou encore des Romains, dont le plus grand centre de production vinicole était situé à Volubilis, près de Meknès. Quinze siècles après, avec l’arrivée du colonisateur français, le secteur renaît de ses cendres et a retrouvé après ses lettres de noblesse, grâce particulièrement à un homme : Brahim Zniber. Il a transformé toute une industrie qui était caractérisée par une production en vrac vers une production en bouteilles. Il a intégré des cépages nobles tels que le Cabernet Sauvignon, le Merlot, la Syrah ou le Chardonnay.
Doté d’équipements ultra-performants, son groupe s’est frayé du chemin et est aujourd’hui une véritable locomotive pour des champions nationaux dont les ambitions ne sont bloquées que par l’étroitesse d’un marché contraignant, où les tabous ont la peau dure, et ce, malgré le fait que les Marocains soient classés parmi les plus grands buveurs de la région et dans le monde. Le Maroc réussira-t-il à percer davantage dans ce domaine où l’authenticité et l’art de vivre marocain sont majestueusement mis en avant ? En attendant, «vaut mieux boire du rouge que broyer du noir», comme disait le célèbre cuistot Benoist Rey. Cheers !
Les vignes se mettent aux drones
La vigne subit, comme les autres cultures, les contraintes liées au changement climatique. Même si cette culture n’est pas très consommatrice de ressources hydriques, elle fait face au stress hydrique, notamment dans les régions de Meknès et Benslimane. Pour y remédier, les producteurs de vin utilisent de nouvelles méthodes comme les sondes d’irrigation qui mesurent avec précision la disponibilité en eau du sol. «Nous sommes en train d’installer ces sondes un peu partout. On les met au niveau de chaque parcelle pour connaître les besoins en eau de la plante et lui donner juste ce qu’il lui faut et au bon moment», déclare Hamza Messaoud, DG d’Olivim.
Ces nouveaux défis sont débattus au sein d’Agrinova, premier pôle de compétitivité en agroalimentaire au Maroc. Le vendredi 13 janvier 2023, Agrinova a organisé,
en partenariat avec le ministère de l’Agriculture, la 3e édition de l’Agro IT Days à l’agropole de Meknès. L’utilisation des drones a occupé une place importante des débats. «Nous sommes en phase de tests pour une utilisation plus importante des drones dans les vignes. Cette technologie nous permet de réaliser des cartographies, de voir un peu plus clair et de mieux gérer notre production», souligne Hamza Messaoud.