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Vidéo. Mohamed Elmandjra : «Le privé doit être impliqué davantage»
Le président du groupe de cliniques spécialisées en oncologie estime que les moyens et l’expertise du secteur privé restent encore sous-exploités dans le déploiement de la démocratisation d’accès aux soins.

Pour plusieurs, le nom «Mohamed Elmandjra» évoque le secteur des télécoms et Méditel. Si, en 2008, il a pris les rênes de l’opérateur télécoms et a été l’artisan de sa montée en puissance et de son introduction en bourse, rien ne prédestinait Elmandjra à faire carrière dans les télécoms. Ce que peu savent, c’est que ce manager aguerri avait performé dans le secteur de la santé durant près de 25 ans aux États-Unis et en France. Il figure parmi les premiers Marocains à avoir décroché un doctorat en génie biomédical, spécialité IRM (Imagerie par résonance magnétique), à l’Université de Pennsylvanie, en plus d’un master en biophysique. Après avoir commencé sa carrière en 1990 en France chez General Electric, en tant qu’ingénieur en développement clinique, il revient aux États-Unis au siège de la firme, à Milwaukee. Il sera chargé du produit IRM de la multinationale au niveau mondial. Mohamed Elmandjra multiplie ensuite les postes de responsabilité dans des groupes de renom du secteur de la santé à la Silicon Valley.
En créant Oncologie et Diagnostic du Maroc (ODM), Mohamed Elmandjra n’effectue qu’un simple retour aux sources. En scientifique et manager chevronné, il a réussi le défi de positionner ODM parmi les acteurs majeurs de la santé privée au Maroc. ODM est aujourd’hui présent à Casablanca, Rabat, Marrakech, Oujda, Fès et bientôt Beni Mellal, dispose de 12 établissements de santé et compte 500 collaborateurs.
Le secteur de la santé se transforme en profondeur. Quel sera l’apport du secteur privé dans cette métamorphose aux côtés du public ?
Le privé ne peut pas se substituer au public, mais il ne peut pas non plus être exclu d’une politique nationale de santé. Nous sommes tous pour un secteur public fort et efficient qui doit être accompagné par des synergies avec le privé. Or, malheureusement, nous sommes loin d’un «dispositif national de santé» regroupant toutes les ressources humaines et matérielles du pays et optimisé pour servir le citoyen de la manière la plus efficace possible.
Le privé et le public sont complémentaires. Le premier dispose aujourd’hui de moyens importants qu’il peut déployer de manière rapide pour couvrir les besoins identifiés. Il compte des compétences médicales et paramédicales de très haut niveau, des moyens matériels significatifs, des relations scientifiques et partenariales internationales et un savoir-faire reconnu. Toutes ces ressources peuvent et doivent être mises à contribution de manière efficiente avec le public pour servir le citoyen. Aujourd’hui, l’ensemble des intervenants du secteur ne demande qu’à contribuer à ce chantier, de manière organisée et efficiente.
Estimez-vous que le secteur privé est écarté de cette dynamique ?
Il est clair que le secteur de la santé d’une manière générale est en pleine mutation au Maroc et le segment privé est évidemment au cœur de tous ces changements. Nous voyons une vraie dynamique se mettre en place, surtout découlant du grand chantier national de l’extension de la couverture médicale à l’ensemble des citoyens.
Ce grand projet royal présente beaucoup d’opportunités sur le volet social et économique, mais représente également beaucoup de défis, notamment en termes de capacités et d’investissement, ce qui exige de la responsabilité de la part de toutes les parties prenantes.
C’est pour cela qu’il est impératif que tous les acteurs soient impliqués dans la planification et le déploiement de ce nouveau système, ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui. La réalité, c’est que le secteur public et le secteur privé opèrent encore en silos ; il faut que cela change rapidement pour le plein succès de ce projet national.
Comment va fonctionner concrètement le système de santé après ce chantier, particulièrement du côté du privé ?
Comme je le disais, nous disposons de peu de détails, ce qui est prévu c’est que les citoyens au Maroc auront accès à une couverture médicale qui leur permettra d’accéder aux soins dans les structures à leur disposition. Dans ce cas, les nécessiteux seront couverts au même titre que leurs concitoyens ayant des moyens et devraient avoir accès aux mêmes services. Je pense qu’il est faux de parler d’une santé à deux vitesses quand la couverture est généralisée et adéquate. Du moment que le citoyen est couvert, il n’y a plus de différence.
C’est en fait le concept d’une couverture à deux vitesses (comme c’est le cas pour le RAMED) qui a disparu avec le nouveau système. Il s’agit d’une réelle avancée majeure dans le secteur de la santé et pour l’accès aux soins à tous les citoyens, peu importe leur classe sociale.
Les Marocains ne sont pas toujours tendres avec les cliniques privées, à cause notamment des pratiques frauduleuses de certaines…
La particularité de la santé privée c’est qu’elle représente une activité qui reste une responsabilité sociale mais qu’elle est régie par une logique économique disons «ordinaire». Ces deux aspects sont parfois difficiles à gérer.
En effet, une entité de services santé, aux yeux du citoyen, se doit de lui venir en aide quels que soient ses besoins en soins et ce, en toute circonstance et indépendamment de toute considération économique.
Ce service est perçu, à juste titre, comme un droit. Or, la même entité est considérée par ses fournisseurs comme un client, par ses collaborateurs comme un employeur et par le Fisc comme un contribuable au même titre que n’importe quelle entreprise.
Il y a donc une double pression qui est spécifique au secteur. Au Maroc, cette pression est exacerbée par le fait que les dépenses de santé restent en majorité supportées par les ménages. La solution repose sur une couverture adéquate qui permet une séparation claire entre le patient et le payeur pour que la relation entre le patient et son soignant reste saine.
Le secteur de la santé figure dans les radars de grands groupes spécialisés, notamment internationaux. Devons-nous nous attendre à une explosion des investissements à moyen terme ?
En principe oui, nous avons d’ailleurs vu au cours des quatre dernières années un développement important des infrastructures sanitaires. Cependant, pour que cette dynamique se poursuive de manière durable et soutenue, il faut avoir de la visibilité sur le rôle exact que le privé doit jouer dans une politique nationale et de la clarté par rapport au mode de fonctionnement de cette couverture sociale.
Aujourd’hui, force est de constater que nous n’avons que peu de détails sur le déploiement de cette initiative nationale. Les communications officielles sur ce chantier concernent le secteur public et il n’y a pas encore de concertations structurées avec le privé.
