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«Nous sommes résolument engagés auprès de nos clients»

Adaptation du circuit d’approvisionnement, de la stratégie de stockage, opérations promotionnelles et refonte du programme de fidélité sont les leviers activés par l’enseigne de grande distribution pour amortir les impacts de la conjoncture actuelle sur le panier de la ménagère. C’est ce que nous explique le président de Marjane Holding. Entretien.

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C’est un «Ayoub Azami» déterminé que La Vie éco a rencontré au siège de Marjane Holding à Casablanca. Le patron du leader de la grande distribution nous détaille les actions déployées par le groupe pour soutenir le pouvoir d’achat des Marocains en cette période inflationniste. Il revient également sur la stratégie digitale et commerciale de l’enseigne, ainsi que l’apport du groupe au profit du tissu économique local.

• La Vie éco : Le pouvoir d’achat des Marocains a été impacté par l’inflation. Le Groupe Marjane a-t-il cherché à en atténuer l’effet sur le panier de la ménagère ?
Ayoub Azami : Nous vivons actuellement une période d’inflation qui a connu deux temps. Elle a été conjoncturelle lors de la crise sanitaire, à cause notamment de la baisse des capacités de production asiatiques, engendrant un déséquilibre entre l’offre et la demande. Elle est devenue ensuite plus structurelle et systémique à cause de la crise ukrainienne, avec une crise énergétique qui s’est étendue à toute la chaîne d’approvisionnement. Il fallait bien évidemment que le Groupe Marjane y faire face en actionnant plusieurs leviers. Le premier a été celui de l’anticipation, mais en prenant des risques. On devait pouvoir décoder la dynamique et pouvoir réadapter notre capacité de stockage qui a été significativement augmentée. La stratégie consistait donc à pouvoir avoir la lecture la plus juste de cette dynamique et pouvoir anticiper en misant sur le stockage. Ceci nous a permis de maintenir des prix à un niveau stable à chaque fois que cela était possible. L’autre levier que nous avons actionné est lié à notre marge bénéficiaire que nous avons adaptée à la situation en fonction des produits.

• Comment avez-vous concrètement joué sur la marge au profit des consommateurs ?
Cet effort s’est fait à travers deux mécanismes. Le premier, qui est classique, est relatif au levier promotionnel que nous avons amplifié dans la mesure du possible avec la contribution de nos partenaires fournisseurs. Le deuxième mécanisme est lié aux progrès que nous avons pu réaliser grâce au digital. Il s’agit du programme de fidélité qui nous a permis de proposer à nos clients des produits à des prix réduits d’au moins 10%. Certaines ristournes atteignaient même 20%. Ces efforts sur les prix concernent une large gamme de produits, notamment les produits frais, les légumes et les fruits, la viande rouge et les produits de grande consommation.

• Dans quelle mesure votre politique d’approvisionnement a-t-elle été chamboulée et quels ont été les produits les plus impactés par la hausse des prix ?
Les premiers mouvements d’inflation ont été causés par la mise en berne de la capacité de production chinoise, impactant ainsi les prix des produits non alimentaires importés de ce pays comme l’électroménager, l’électronique et l’informatique. Cette première vague d’inflation a commencé en 2021. Ensuite, la crise ukrainienne a impacté les prix des produits alimentaires. Ce qui nous a poussés à actionner le levier du stockage, mais pas que. Nous avons également reconfiguré notre stratégie de sourcing, en cherchant de nouveaux fournisseurs, tout en amplifiant et accélérant certains mouvements qui avaient déjà été initiés avant la crise sanitaire. A ce titre, nous avons transféré certaines sources d’approvisionnement de pays asiatiques, qui n’étaient plus capables de nous fournir avec la même efficacité, vers d’autres marchés régionaux mais surtout locaux et nationaux.

• Justement, que représente aujourd’hui votre taux de sourcing local ?
Le Made in Morocco figure parmi nos priorités et notre engagement en tant qu’entreprise. La crise nous a poussés à accélérer notre stratégie de sourcing local sur deux registres, l’alimentaire et le textile. Nous avions déjà, avant la crise sanitaire, mis en place une démarche volontariste et ambitieuse de substitution des produits étrangers par ceux locaux. Le contexte inflationniste nous a amenés à accélérer ce mouvement. Pour les produits agroalimentaires, notre marque propre Marjane représentait 40% de sourcing local avant la Covid-19, et nous nous sommes fixé un taux de 80% d’ici 2024. Aujourd’hui, nous sommes déjà à 75%, soit 15 points de pourcentage de plus que «le temps de passage» fixé initialement. Nous avons également atteint le même taux record, soit 75%, en termes de sourcing local pour tout ce qui est du textile, un taux de substitution que nous devions franchir d’ici 3 ans. Nous sommes très bien avancés dans cette stratégie qui va s’inscrire dans la continuité et pour laquelle nous trouvons le support de toutes les parties prenantes, fournisseurs et pouvoirs publics.

• Est-ce que le tissu industriel marocain a absorbé cette hausse de la demande et a-t-il pu y répondre de manière efficace ?
Cette accélération nous a été dictée par la conjoncture et nous n’avons pas eu de problèmes au niveau de nos approvisionnements. Au contraire, nous avons rencontré un écosystème industriel marocain qui a été d’une agilité salutaire.

• Combien représente cette stratégie de substitution en termes de chiffre d’affaires et de nombre d’entreprises marocaines bénéficiaires ?
Pour le chiffre d’affaires, on parle de plusieurs centaines de millions de dirhams. Pour le moment, notre politique de sourcing local bénéficie à près de 70 entreprises marocaines opérant dans l’agroalimentaire et le textile. Il s’agit de structures faisant partie intégrante de notre stratégie de substitution. Maintenant, si on compte les entreprises travaillant avec nous dans le cadre de notre marque propre Marjane, on atteint facilement près de 250 opérateurs.

• Quels sont vos principaux défis aujourd’hui ?
Nous faisons effectivement face à des défis et urgences en ce moment. Comment sécuriser nos approvisionnements, limiter l’impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat des Marocains et comment soutenir notre écosystème. Ce sont là nos principales priorités sur lesquelles nous travaillons avec nos partenaires.

• Vous avez accéléré votre transformation digitale ces deux dernières années. Le digital figure-t-il également dans cette démarche d’adaptation ?
Le digital figure parmi les priorités stratégiques de Marjane, puisqu’une partie de notre métier se fera dans l’avenir à travers le digital. Notre ambition est de pouvoir être un acteur omnicanal de premier rang. Nous disposons du canal physique que nous maîtrisons et nous nous positionnons aujourd’hui dans le digital grâce à une stratégie dédiée. Nous avons franchi plusieurs étapes en lançant plusieurs solutions comme l’application Marjane, l’e-commerce, la livraison à domicile, le paiement mobile et le programme de fidélité qui peuvent apporter des réponses concrètes et des solutions pratiques à nos clients en cette période. Nous avons aussi mis en place toute l’infrastructure Data qui nous permettra d’investir dans des projets, au sens marketing, encore plus précis et plus importants. Nous allons axer nos prochains efforts vers un marketing digital plus segmenté. Nous nous dirigeons également vers la mise en place d’une Marketplace, soit vers un modèle d’agrégation à la «Amazon». Nous travaillons sur beaucoup de projets très passionnants.

• Quel est le budget d’investissement mobilisé pour la stratégie digitale ?
Des dizaines de millions de dirhams. Nous allons consentir des investissements conséquents dans le digital dont l’impact ne se fera sentir qu’à moyen et long terme. Mais cela dynamise aussi, modestement, l’écosystème marocain via toutes les start-up que nous sollicitons.

• Quel est le nombre de clients actifs sur votre plateforme digitale ?
Nous comptons aujourd’hui 2 millions de clients qui sont inscrits sur notre plateforme et qui sont des visiteurs actifs. Concernant les commandes, nous en enregistrons entre 35 000 et 40 000 par mois via notre application.

• Vous avez également innové en magasins dernière génération à l’image des deux derniers supermarchés de Californie et de Bouskoura à Casablanca…
Il s’agit d’un nouveau format d’hypermarchés que nous comptons développer de manière soutenue dans la plupart des villes marocaines. Nous allons également développer des centres commerciaux différents du type Les Myriades Bouskoura lancé dernièrement qui répondent de manière efficace aux nouveaux besoins du consommateur marocain et en faire des centres commerciaux, des centres de vie. Les gens ne se déplaceront plus que pour acheter des produits, cela va au-delà, ils se déplaceront pour l’expérience globale procurée. C’est une réflexion de repositionnement que nous avons entamée et formulée dans une stratégie d’expansion qui va être maintenue et renforcée.

• Quelle sera la place de l’hypermarché dans cette nouvelle stratégie ?
L’hypermarché aura toujours sa place stratégique dans notre modèle économique et sera toujours une locomotive pour le groupe. Il contribuera également de manière efficace à l’offre Produit, mais il sera inséré dans un écrin qui procurera surtout une expérience au-delà de l’offre purement produit, une offre où l’expérience vécue globale crée la destination.

• Qu’en est-il du volet foncier. Disposez-vous d’une foncière ou d’une OPCI qui gère vos activités immobilières ?
On parle souvent de grande distribution, mais il faut aussi savoir que nous disposons d’une branche d’immobilier commercial qui représente pas moins de 30% de l’activité globale du groupe. C’est cette structure qui porte toutes les questions liées au développement commercial et d’implantation d’hypermarchés. Concernant les actifs immobiliers du groupe, ils sont logés dans l’OPCI Martis.

• Plus de 30 ans après sa création, Marjane conserve toujours son leadership dans la grande distribution au Maroc. La recette secrète de cette success-story ?
Pour être leader et conserver son leadership, plusieurs ingrédients entrent en jeu. Je parle avec une certaine sensibilité, mais je peux vous dire que la force de Marjane réside dans son savoir-faire, son expertise métier et la compétence qu’il a pu cultiver tout au long de son aventure. Elle réside aussi dans la capacité de ses femmes et ses hommes à réaliser, avec passion, un certain nombre d’actes créatifs qui ont valu à Marjane son positionnement de leader, de pionnier et de précurseur. Je viens du monde industriel. Avant de prendre la direction de Marjane, on m’avait dit que le commerce était différent, mais je me suis aperçu que c’est un secteur très challengeant où la créativité est le maître-mot. Je pense que le plus grand capital de Marjane pour les années à venir sera son savoir-faire, l’agilité de ses compétences et sa capacité à s’adapter en permanence, à se remettre en cause et à se réinventer.